La grande illusion

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Si pacifiste que ça ?

Après une bonne dizaine de visionnages, anciens et récents, de ce chef-d’œuvre de Jean Renoir, j’en suis toujours à me demander ce qui lui vaut sa réputation d’œuvre pacifiste, de brûlot subversif, réputation qui lui a – ou lui aurait – valu interdictions diverses et mises sous le boisseau.

Ou alors – et c’est plutôt même sans doute là qu’il faut chercher – parce qu’en 1937, date de sortie du film, les lourdes machines des propagandes se sont mises à accélérer et ne tolèrent plus, pour la commodité de leur fonctionnement, qu’il y ait nuances, ambiguïtés, subtilités dans la mise en scène des réalités.Les réalités, il me semble qu’elles sont doubles ou triples, mais suffisamment intelligentes pour n’être pas révolutionnaires ! Et si nous débarrassons aujourd’hui un film qui se passe pendant la Grande guerre d’une partie des aspects conjoncturels de l’époque de son tournage, sur quelles réalités, précisément, tombons-nous ?

  • Qu’il existe une sorte d‘Internationale des gens bien élevés, qui transcende les appartenances nationales ?
  • Que la guerre peut se faire sans haine entre adversaires qui s’estiment ?
  • Que le désir, l’attirance physique, certaines frustrations peuvent entraîner des gens qui se comprennent à peine à engager une jolie (et provisoire) histoire ?

La belle affaire ! Tout cela est de l’ordre des rassurantes évidences !

Je ne vois pas, en tout cas, chez Renoir un appel à la désobéissance, une remise en question du rôle de chacun ; bien au contraire, les combattants combattent dans un respect mutuel (mais il ne faut pas méconnaître que nos combattants sont des aviateurs, des aristocrates de la bagarre, qu’ils ne sont pas soumis à la promiscuité dégradante de la tranchée !) ; chacun fait son devoir, sans détestation de l’autre (j’ai écrit sur le fil de Mourir à Madrid que c’est généralement seulement dans les guerres civiles qu’on déteste le type d’en face, parce qu’on sait pourquoi on le hait) ; chacun joue son rôle : les prisonniers cherchent à s’évader, les geôliers à les en empêcher. Et si Rauffenstein (quel rôle aura plus fait pour la légende d’Erich von Stroheim ?) se résout à tirer sur Boeldieu (même remarque pour Pierre Fresnay), ce n’est évidemment pas de gaieté de coeur, mais parce que c’est l’ordre des choses.

En fait, chacun fait son Devoir, sans fanatisme ou joie mauvaise ; mais il n’y a pas non plus d’aspect niais et grandiloquent, comme dans le J’accuse d’Abel Gance où les morts sortent des tranchées pour demander des comptes, et moins encore de côté « lendemains qui chantent » comme dans La vie est à nous, délicieux film de propagande communiste du même Jean Renoir.

Qui pourrait dire qu’il y a de la révolte, de l’esprit crosse-en-l’air, de la mutinerie, dans la silhouette de Maréchal (Jean Gabin) et de Rosenthal (admirable Marcel Dallio) qui gagnent la Suisse dans la neige, après avoir quitté la ferme d’Elsa (Dita Parlo) ?

Je gage même qu’après une permission de convalescence, Maréchal et Rosenthal reprendront le combat…

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