Falbalas

Haute couture.

Qu’est ce qui manque, pour que Falbalas soit au niveau des grands films de Jacques Becker, qui n’aura pas raté grand chose et aura au moins réalisé deux chefs-d’œuvre au brio étourdissant, dans des genres très différents, Casque d’or et Touchez pas au grisbi ? Oui qu’est-ce qui fait qu’hier, revoyant le film, je me sois un peu agacé de ne pas retrouver tout à fait le cinéaste merveilleux, élégant, subtil de Goupi mains rouges, d’Antoine et Antoinette, des Rendez-vous de juillet, de Rue de l’Estrapade, du Trou ?

Qu’est ce qui manque ou, plutôt, qu’est ce qui ne fonctionne pas totalement ?

D’abord la niaiserie de l’anecdote, cette espèce de bêta mélodrame sentimental, qui se termine par deux suicides, ceux d’Anne-Marie (Françoise Lugagne) et de Philippe Clarence (Raymond Rouleau) et par deux autres vies gâchées, celles de Micheline Laforêt (Micheline Presle) et de Daniel Rousseau (Jean Chevrier), à quoi on pourrait ajouter la probable faillite de la maison de couture privée de son créateur. Jeux hasardeux de l’amour, mensonges des faux semblants, mauvaise dangereuse escrime des cœurs, passions éclatantes dissimulées, on est, certes, dans une tradition très française, mais qui est sans doute un peu caricaturalement menée jusqu’à devenir presque ridicule.

Écrivant cela, je me dis qu’en fait le récit pourrait très bien passer s’il n’était porté, côté masculin, par un des pires spécimens d’acteurs que le cinéma français ait jamais connu, Raymond Rouleau, dont le physique d’une absolue mièvrerie et le jeu outré, épuisant, crispant, ridicule suffit à gâcher un personnage. Ce type, que tout le monde s’accordait à trouver odieux sur les plateaux, et qui finit metteur en scène de théâtre d’un certain renom, a eu la chance infinie de tourner au moins deux films intéressants L’Assassinat du Père Noël de Christian-Jaque et Falbalas. Deux films qui, sans lui, auraient été bien meilleurs.

Donc Raymond Rouleau est un poids considérable, alors que Micheline Presle (qui est censée avoir 19 ans et fait tout de même un peu davantage alors qu’elle n’en avait que 22) est lumineuse, sensible, intelligente et même émouvante. Voilà une actrice qui est restée sûrement un peu en retrait de ce qu’elle aurait pu être : que retiendra-t-on d’elle, à part sa présence dans de très nombreux films ? Boule de suif en 45, Le diable au corps en 47. Et Falbalas, donc.

Qu’est-ce que je vais encore critiquer ? La hideur de la mode en 44-45, sans doute une des époques où les femmes ont été les plus laidement, les plus ridiculement, le plus monstrueusement vêtues. La robe (et le chapeau !) de Micheline Presle lors de son premier dîner au restaurant avec le grand couturier Clarence, parée de plumes de coq en épaulettes est un des plus grotesques attifements que j’aie jamais vu.

Mode atterrante, mais merveilleux monde de la Haute Couture tel qu’il existait aux temps où les collections étaient faites de vêtements créés pour être vraiment portés par une riche clientèle, et donnaient le ton à la mode réelle et non pour épater, choquer, scandaliser, façonner une image qui se déclinera en accessoires et en parfums… C’est cette plongée presque documentaire dans ce monde de l’artisanat de luxe qui est le meilleur de Falbalas, cette passion de la qualité, cette organisation fiévreuse et passionnée des premières d’atelier, des ouvrières, des petites mains, des arpètes, cette hiérarchie très stricte, très exigeante, des métiers d’art.

Il y a de très bons moments et de très beaux personnages, comme celui de la râleuse Paulette (Jeanne Fusier-Gir) et, mieux encore, celui de Solange (la grande Gabrielle Dorziat) qui est un peu – toutes choses égales par ailleurs – le Pierre Bergé de cette sorte d’Yves Saint-Laurent qu’est Clarence. Mais aussi l’atmosphère de l’hôtel particulier des cousins de Micheline avec, en tante bourgeoise et autoritaire la volcanique Jane Marken.

Bon. un peu foutoir, ce message. Mais le film l’est aussi. Et il bon.

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