Louis Malle documentariste filme ce moyen métrage comme un sujet allongé des défuntes et révérées Cinq colonnes à la une : absence de tout parti-pris agressif, temps donné au temps, neutralité du propos, multiplicité des points de vue.
En 1986, il interroge sur tout le territoire des États-Unis des immigrés qui ont gagné, pour le meilleur, et plus rarement pour le pire, cette Terre promise qui alimente depuis deux cents ans l’imaginaire de presque tous les peuples du monde.
Ce qui est très bien, précisément, c’est cette variété des expériences : réfugiés politiques persécutés (Roumanie, Union soviétique, Cambodge, Laos, Vietnam, Salvador, Cuba) ou persécuteurs (Nicaragua), cadres de haut niveau ou paysans misérables et illettrés, jeunes ou vieux, nostalgiques de leurs origines ou violemment allergiques à leurs racines…
Mais tous, ou presque tous, rêvent de s’incorporer au plus vite à leur nouvelle terre, de devenir Américains. Une attirance universelle pour un mode de vie et une puissance qui les ont fait rêver, sur quelque continent qu’ils soient nés. La capacité d’assimilation des États-Unis était intacte au moment du tournage, il y a vingt-cinq ans, et le demeure à peu de choses près. Car ce que cherchent les immigrants, c’est non seulement des conditions de vie et des espérances d’épanouissement plus favorables – réelles ou fantasmées -, mais aussi la fierté d’être citoyen d’un des cinquante États.
Il est vrai qu’on ne leur serine pas, lorsqu’ils arrivent, combien leur pays d’accueil est indigne et monstrueux, marqué par l’intolérance, la lâcheté, les despotismes, les égoïsmes, les collaborations, les colonialismes et tout le bataclan. Comment veut-on qu’un immigré veuille, en France, s’assimiler, devenir Français autrement que de papiers puisque chaque jour il apprend à la télévision une nouvelle monstruosité commise, jadis ou naguère, par son pays d’accueil, mise en scène, écartelée jusqu’à la plaie, et donc parfaitement repoussante ?
Rien de tout cela Outre-Atlantique. Les parcours ne sont pas toujours réussis, et le rêve américain est quelquefois proche du cauchemar, notamment pour ces dizaines de milliers de chicanos mexicains qui s’entassent du côté de Tijuana et tentent inlassablement de passer la frontière pour fournir la traditionnelle variable d’ajustement d’un patronat, toujours ravi de trouver de la main d’œuvre bon marché qu’on peut ficher à la porte dès qu’elle revendique. Et tout ça avec les oripeaux de la fatalité économique, rabâchée par la doxa libérale : On ne peut pas se passer d’eux !. Ce à quoi un officier d’immigration bienveillant, très humain et très lucide répond que C’est comme quand on nous disait qu’on ne pourrait pas s’en sortir sans le travail des enfants !
Louis Malle voit bien qu’entre les groupes d’immigrés il y a des fortes disparités : les Asiatiques paraissent rentrer beaucoup plus rapidement dans la logique sociétale, consacrant tout à la réussite scolaire ou au travail acharné. C’est moins vrai pour d’autres ; et comme il est dit dans le commentaire, lorsqu’on aborde la grave question de la délinquance, ce n’est pas celle des émigrés illégaux, qui travaillent, mais celle de leurs enfants frappés par l’échec scolaire et la chute du rêve d’ascension sociale.
Un auteur dramatique d’origine antillaise, Derek Walcott (Prix Nobel de littérature 1992) explique, dans À La poursuite du bonheur, que Devenir Américain est un processus continuel. Pourvu que ça dure !