Du rififi chez les Hommes

Le grisbi, la chnouf, le rififi et les pépées

S’il se met en place trop lentement, peut-être, avec une présentation des personnages qui aurait pu être plus vive, plus concise, le film, dès qu’il entre dans le vif de son sujet devient haletant et nerveux, et n’usurpe en rien la grande réputation qu’il mérite. Ayant écrit cela, je me repends presque tout de suite : il était sûrement nécessaire de prendre le temps de donner de Tony le Stéphanois (Jean Servais) une image de truand vieilli, fatigué, usé, poitrinaire, revenu de tout avant de mieux le lancer dans un des meilleurs casses du cinéma.

 Tiens, Jean Servais… parlons-en. Comment se fait-il que n’aient pas été davantage employés au cinéma ce visage dur, cette voix d’une extraordinaire beauté grave ? Je crois que Du rififi chez les hommes est le seul film de quelque importance qui l’ait porté en premier plan, alors même qu’il parvient, à la moindre apparition en deuxième rôle, à marquer son territoire….? Et dans des personnages détestables… Ainsi dans Une si jolie petite plage d’Yves Allégret (1948), dans Rue de l’Estrapade de Jacques Becker (1953), dans L’Homme de Rio de Philippe de Broca (1964)… Servais n’a d’ailleurs pas même besoin d’apparaître pour qu’on reconnaisse sa voix et son talent : c’est le narrateur, la voix off du Plaisir de Max Ophuls qui ouvre le film…Il y avait bal ce soir-là au Palais de la danse et le conclut par Le bonheur n’est pas gai.

Servais, donc, qui domine de la tête et des épaules une interprétation qui me semble, à part lui, le petit point faible du film de Jules Dassin. Les gangsters sont caricaturaux, chacun dans son style : les amis de Tony, Mario (Robert Manuel, qui ne cesse de glapir et de roucouler) ou Jo le Suédois, (Carl Möhner, sans doute imposé par un caprice de production et qui s’exprime avec la voix exaspérante du trop célèbre Roger Rudel), fruste et musculeux. Mais aussi ses adversaires où se glisse le redoutable Robert Hossein, dans le rôle de Rémy le camé, qui, comme toujours, se la joue torturé et emphatique.

Et les femmes ne sont pas mieux. Sans doute il y l’abattage, le talent et la beauté de Magali Noël mais sinon ! Mado, la gagneuse de Tony (Marie Sabouret) est insignifiante, Ida, la femme de Mario, (Claude Sylvain) crispante… Et j’ai été bien déçu de trouver déjà si fanée, presque flétrie, la grâce de Janine Darcey, si piquante dans Entrée des artistes et dans Remontons les Champs-Élysées.

Je dis cela, mais c’est finalement assez véniel, tant l’histoire est prenante et bien montée, tant le morceau de bravoure du cambriolage d’une grande bijouterie de la rue de la Paix est haletant, rigoureux, impeccablement mené ; tant la sauvagerie des rapports des bandits est convaincante.

Dans cette histoire de truands rassis, qui veulent réussir un dernier coup, avant de partir vivre une retraite pépère dans leurs charentaises, il y a la présence narquoise du Destin, de la Fatalité, du grain de sable. Comme dans la plupart des histoires d’Auguste Le Breton : Razzia sur la chnouf, Le Rouge est mis, Le clan des Siciliens. Heureuse époque de l’argot manié avec talent, du Milieu régi par des codes, des Hommes en costumes croisés et en gros pardessus.

Ah ! Un truc rigolo ! Celui qui, par son imprudence, fait tomber la bande de Tony, c’est le virtuose perceur de coffres César le Milanais (interprété par Dassin lui-même) ; celui dont on dit qu’aucun coffre ne lui résiste et qu’il ne peut résister à aucune femme. Curieux, ça, qui m’a fait penser à un autre homme de talent qui, il est vrai, était plutôt chargé de garder nos coffres que de les percer…

Leave a Reply