La Tour de Nesle

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Gance était bien émoussé !

Je crains de n’avoir pas la main très heureuse, en ce moment, dans mes redécouvertes de films français des années Cinquante et Soixante, édités avec une profusion infernale par René Château ou par un autre fumiste, films qui me valent des déceptions à la mesure de mes espérances. Mais bon ! Si on se décourageait pour ça, où irait-on !

D’autant que là, je pensais avoir mis la main sur une œuvre qui, par son réalisateur, sa distribution, son scénario, l’atmosphère sulfureuse que son nom dégageait à mes souvenirs ne pouvait pas me décevoir.

Et je suis tombé de bien haut !

Certes, le muet n’est pas mon truc, mais tout de même, le nom d’Abel Gance est connu et célébré pour La roue, pour son Napoléon (avec le fameux Albert Dieudonné), ou, aux temps du parlant, pour une Lucrèce Borgia où la grande Edwige Feuillère apparaît nue, ou presque, pour un J’accuse de belle venue et, plus tard encore pour un Austerlitz de qualité.

La distribution ? Aux côtés d’un Pierre Brasseur qui, en 1955 est au sommet de sa carrière, la pulpeuse Silvana Pampanini, mais aussi Paul Guers, Michel Bouquet, Jacques Toja – certes jeunes, mais sûrement déjà talentueux – et quelques étoiles sympathiques de petite grandeur, comme Gabriello ou Rellys.

Et puis surtout l’histoire, ou plutôt ce qu’on appelait aux temps jadis la Petite Histoire : la fable de la Tour de Nesle, comme celle du Masque de fer, comme en d’autres temps et d’autres lieux la légende du Prêtre Jean ou celle de la Papesse Jeanne sont de celles qui fascinent les esprits romanesques à l’égal des vraies péripéties de L’Affaire des poisons ou des duperies du Collier de la Reine.

Que le film de Gance s’inspire d’un mélodrame écrit par Alexandre Dumas ne pouvait, en sus, qu’ajouter un peu de piment à la sauce, même si les amateurs de vérités historiques sont rarement à la fête dans ces optiques (c’est ainsi que ce récit de la Tour de Nesle se passe, dans le film, sous le règne de Louis X le Hutin, alors que l’affaire a éclaté sous Philippe IV le Bel qui fit bellement emprisonner ses belles-filles coupables d’adultère). Ça n’a pas réellement d’importance si l’anecdote est convaincante et bien menée. Mais ça n’est pas du tout le cas, ça hésite entre le ridicule, le grotesque, même, et le pitoyable.

Peu importe que le carton-pâte et la toile peinte règnent sur les décors ; peu importe que les orgies salacement annoncées lors du lancement du film soient des plus parcimonieuses (même pour 1955 !) ; peu importe que les dialogues soient d’une niaiserie et d’une faiblesse insignes, hésitant entre le truculent (du type Holà, tavernier du Diable !) et le pathétique de bazar ; peu importe qu’on ait un peu honte de voir un Michel Bouquet réussir à être catastrophique, un Paul Guers bête à pleurer et même un Rellys (le si magnifique Ugolin du Manon des Sources de Pagnol) se résoudre à s’aligner en médiocrité sur le gugusse Gabriello ; peu importe…

Enfin si, à la longue, ça importe ! D’autant que la couleur du DVD est d’une laideur épouvantable (on dirait un film colorisé) que Pierre Brasseur s’est fait la tête de l’Othello qu’il joue avec brio dans Les enfants du Paradis (ce qui, là, ne s’impose en rien) et que ça dure deux heures…

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