La traversée de Paris

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Mieux vaut être riche et bien portant que…

Eh oui, les amis, La traversée de Paris est un de ces grands chefs-d’œuvre noirs, vraiment noirs d’Autant-Lara !

Si l’on n’y voit que l’anecdote, les éructations de Jambier, la présence de deux acteurs classés dans les meilleurs amuseurs publics de la France d’après-guerre, (Bourvil et Funès) mais aussi de plusieurs acteurs étiquetés comiques (Georgette Anys, Jacques Marin, Hubert de Lapparent) et de la plus grande vedette de toute l’histoire du cinéma français, Jean Gabin, les dialogues étincelants de Aurenche et Bost, si même on se réfère à la nouvelle éponyme de Marcel Aymé, on passera à côté de la méchanceté intrinsèque et géniale d’Autant-Lara.

67107778  La morale de l’histoire, c’est que, tout autant que les riches dans le discours politiquement correct, les pauvres sont veules et malfaisants.

Et que de toute façon, et quoi qu’on y fasse, ça s’arrangera toujours pour les riches, et que c’est d’ailleurs beaucoup plus normal comme ça, parce qu’ils sont cultivés et intéressants.

C’est un proverbe maltais cruel et juste: La pierre tombe sur l’œuf: tant pis pour l’œuf. L’œuf tombe sur la pierre: tant pis pour l’œuf.

Dans les temps mièvres, ça décoiffe…

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Dès qu’on touche à Autant-Lara (et à Duvivier), on me trouve ! Je les tiens l’un et l’autre, pour les maîtres d’un genre très français, sarcastique et noir, d’un noir si fort, si intense qu’il ne laisse pas passer la lumière !

Aussi, juger qu’Autant-Lara était « extrêmement négatif », me semble de l’ordre des évidences déconcertantes ; qui trouverait Paul Léautaud ami de la gentillesse et confiant en l’Humanité, me paraitrait exciper d’un aveuglement ridicule : pareil pour l’auteur de L’auberge rouge.

H2ZIuNHFZ1q7X9_6VkqgT4bK2esJe renvoie au message goguenard que j’ai placé naguère sur le fil de cette Traversée de Paris– que nous aimons – pour en méditer la vraie signification ; car qui écrit que, dans l’image finale, Grandgil et Martin sont émouvants, touchants, ou je ne sais quoi,  méconnait vraiment la dimension anarchiste et vénéneuse du film : Grandgil regarde Martin avec la sympathie, la commisération, le mépris affectueux qu’il lui a manifestés durant toute leur épopée baroque : de toute éternité, Grandgil est destiné à voyager en sleeping, et Martin à porter les valises ; et une fois de plus, la différence entre eux, c’est que Grandgil peut bien – pour s’amuser, pour le « fun » comme on dit aujourd’hui – porter des valises ; mais jamais, jamais Martin ne saura monter dans le sleeping.

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Pendant l’Occupation, durant la Traversée, Grandgil veut voir ce que l’on peut faire, dans une époque troublée, jusqu’où peut aller un type déterminé et désinvolte (et protégé par son statut social, sa notoriété artistique – ai-je jamais écrit que Grandgil est un modèle d’altruisme et de bienveillance ???).

A la Libération, Martin continue à porter les valises, parce qu’il est fait pour ça, dans une sorte de déterminisme social ; c’est d’ailleurs le sens de la dernière apostrophe de Grandgil, au moment où le train s’ébranle : – Alors, Martin, toujours les valises ?! Et la réponse de Martin, souriante et résignée : – Eh oui, celle des autres !. Et s’il fallait une preuve que le clivage de classes a repris toute sa place, depuis l’épopée du cochon de Jambier, c’est le retour du vouvoiement que Martin, spontanément, emploie lorsqu’il s’adresse à Grandgil.

S025-18Cette mise au point étant faite, je trouverais du dernier mauvais goût que l’on prétende avoir, de cette interprétation, la moindre idée sur mon caractère ou mes propres points de vue.

A aucun moment Grandgil ne porte des valises dans l’épilogue !!! Il sort d’un taxi, Gare de Lyon, sans donner la moindre attention au porteur anonyme qui s’empare de ses valises et qui le suit au milieu de la foule pressée ; une valise dissimule opportunément le visage du porteur. Grandgil monte dans le sleeping pendant que le porteur passe les valises par la fenêtre à un autre employé, un contrôleur sans doute ; et quand, pour le payer, Grandgil se penche vers le porteur, il reconnaît le brave Martin, devenu binoclard – possiblement, et même sans doute du fait d’un séjour dans un camp allemand – ; Martin, lui, ne reconnaît pas du premier coup Grandgil mais lorsqu’il y parvient, il est intimidé, un peu gêné, pas le moins du monde envieux.

Grandgil est un mâle dominant, Martin un soumis de nature.

C’est la vie, c’est tout.

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