Ambitieux et réussi.
Inégal, capable de réaliser des films formidables (Tandem, Monsieur Hire, Le parfum d’Yvonne, L’homme du train) et d’autres minables (Une chance sur deux, Félix et Lola, Rue des plaisirs), Patrice Leconte est un véritable amoureux du cinéma et de la réalisation (sauf, bien sûr, lorsqu’il cède à la facilité et aux attraits des grosses recettes, comme dans Les bronzés 3). Ne lui font pas peur les sujets ambitieux, les histoires rares, les moyens importants : ses films ne sont pas des histoires formatées pour la télévision, bourrées de sujets de société et pleins de vedettes du petit écran.
La veuve de Saint-Pierre, qui se passe dans les brumes glacées des confins de l’Atlantique Nord, au milieu du 19ème siècle et de gens qui vivent une vie de chien pleine d’hivers rudes et de printemps parcimonieux, est un beau film un soupçon trop romanesque et manichéen, mais marqué, outre la virtuosité technique de Leconte par la performance des trois acteurs essentiels.
Le générique s’ouvre sur la silhouette grave de Juliette Binoche, dont la grande beauté classique est aussi bien servie là que dans Le hussard sur le toit ; bizarrement, d’ailleurs, ce premier plan fait songer au dernier plan du film de Rappeneau, une femme songeuse regardant au loin (et, bizarrement, d’ailleurs, le prénom de l’héroïne, l’une et l’autre fois est Pauline) ; mais là où Pauline de Théus vibrait de l’espoir de revoir Angelo, Madame la vient de voir fusiller pour sédition son mari, le Capitaine de la petite garnison de Saint-Pierre (Daniel Auteuil, excellent) jugé coupable d’avoir gêné, retardé l’exécution capitale d’un pauvre pécheur, Ariel Neel Auguste (Emir Kusturica), pas très malin, mais brave homme qui, un soir de beuverie infâme, a assassiné un autre pauvre bougre…
Dans la pleine rigueur d’une terre inhospitalière, pauvre, battue par tous les vents et tous les blizzards, la société locale, le Gouverneur (impeccable Michel Duchaussoy), le magistrat (Philippe Magnan), le receveur des Douanes, le directeur des affaires maritimes, quelques autres notables s’effarent, s’indignent, se scandalisent que la femme du Capitaine (Madame la (capitaine), donc) puisse marquer de la bienveillance, de l’attention, de la sympathie, de l’affection pour le condamné et le conduire à devenir indispensable à la petite communauté des gens simples, dont il se fait apprécier…
Parce que, en attendant qu’arrive en ces proximités du Canada, la guillotine, seule capable aux yeux de la IIème République, de mettre fin aux jours d’un condamné, ledit condamné, par la grâce du Capitaine, vaque à mille occupations, sous la férule exigeante et humaine de Madame la.
La situation devient intolérable, puisque le refus du Capitaine, dès que l’arrivée de la machine infernale du Docteur Guillotin est annoncée de faciliter l’exécution, le conduit à une forme de révolte non-violente, mais suicidaire qu’il paiera cher.
Et c’est ainsi que la trop grande humanité de la femme qui l’aime et qu’il aime conduira le Capitaine a être déchiqueté par les balles d’un peloton d’exécution après qu’il a été condamné pour insubordination, alors même que le condamné, objet de la pitié de Madame la est, lui, coupé en deux par une machine venue des Antilles pour que force reste à la Loi.
Trop romanesque, un soupçon trop long, La veuve de Saint-Pierre, au beau titre à double sens, est néanmoins un bien beau film triste (on voit bien que, dès le processus engagé, personne n’en sortira indemne), jouant sur des paysages désespérants et qui, à force de l’être atteignent de la force et de la grandeur. Acteurs principaux magnifiques, je l’ai dit, mais seconds rôles tout autant, et figurants à physionomie si marquée par la rudesse de la vie qu’on en admire les visages burinés…
De l’influence des idées généreuses et des théories régénératrices sur le comportement des femmes amoureuses, et les catastrophes ainsi induites…
Il est à signaler que, comme presque toujours, Leconte, dans une piste spéciale, commente son film, livre mille anecdotes de tournage, donne les clefs de quelques scènes, explicite ses personnages : c’est toujours un très bon moment de cinéma !