Juste après avoir commenté dithyrambiquement Ah ! les belles bacchantes, je me suis dit qu’un peu de prétention intellectuelle ne me ferait pas de mal et que tant à rester idiot, mieux valait le demeurer avec des films qui le méritent. Et puis la semaine Sainte arrive et une entrée en chemin de pénitence n’est pas pour déplaire à mon humeur saisonnière.
Jean Cocteau affirme qu’à l’issue de la représentation controversée de son ballet Parade (musique de Satie, rideau de scène de Picasso), en 1917, il aurait entendu une spectatrice goguenarde claironner Si j’avais su que c’était aussi bête, j’aurais emmené les enfants !.
Je ne suis pas loin, après avoir revu une nouvelle fois Pierrot le fou, de n’être pas du côté de la dame, en ajoutant, toutefois que si j’avais conduit des enfants à regarder le film de Godard, ils ne se seraient pas amusés, mais enquiquinés copieusement.
Quand j’étais jeune et qu’on parlait beaucoup de Jean-Luc Godard (qui sait aujourd’hui s’il vit encore, à part les critiques de Télérama ?), on disait souvent que Pierrot le fou était son œuvre la plus aboutie, celle qui condensait et résumait le mieux le style de son cinéma. Je crains malheureusement que ce ne soit exact, À bout de souffle, et peut-être Le mépris constituant des îlots (mais de tout petits îlots, à peine émergés) dans ce marécage prétentieux.
Ce cinéma de péteux et pour péteux qui peuvent écrire à l’envi des gloses infinies sur la récurrence des couleurs rouge et bleue tout au long du film (ah oui, il y a du rouge et du bleu tout le temps ; la belle affaire !), ce cinéma d’une infinie prétention et d’une vacuité totale sous les oripeaux de l’intellectualisme germanopratin ne pouvait exister que dans une époque dont la jeunesse était gâtée par la vie et ne connaissait pas le dixième des difficultés de la jeunesse d’aujourd’hui (je le sais : cette jeunesse était la mienne). D’ailleurs, quand j’écris ne pouvait exister, je ne suis pas tout à fait exact : ce cinéma existe toujours : c’est celui de Philippe Garrel, de Straub et Huillet, mais ce cinéma-là n’a plus aucune espèce d’importance ; alors qu’au cours des années Soixante, Godard était un cinéaste célèbre auprès du grand public.
Tout est chichiteux, verbeux, maniéré, plein de tics insupportables : ainsi cette manie, dès que les protagonistes roulent la nuit, de faire succéder sur leur pare-brise, des spots lumineux rouges, jaunes, bleus, verts en représentation de lampadaires et de fuite en avant ; ainsi ces insertions périodiques de mots écrits en lettres majuscules qui sont censés rappeler au spectateur borné quelques traits d’esprit gravement énoncés par les acteurs (J’avais envie ; j’étais en vie ; ouaf, ouaf ! quel sémioticien, ce Godard !) ; ainsi le retour continu dans le paysage des stations d’essence Total : n’importe quel esprit sensé se dit que c’est du sponsoring : mais non, paraît-il, Total veut simplement et subtilement dire Total : les bras m’en tombent.
Et pourtant, j’ai mis 1, et non pas 0 ; pourquoi ? si je trouve que Belmondo est à peu près aussi insupportable que dans Le guignolo, je trouve Anna Karina bien charmante. Et puis ici ou là, deux trois trucs, une bonne réplique (La vie est peut-être triste, mais elle est toujours belle), une idée amusante (les textes publicitaires gravement énoncés par les participants à la soirée du début), une image un peu frappante (le squelette de la station-service désaffectée où flambent des voitures). Et en fait, ce 1, c’est plutôt un 0,1.