Don Camillo est un miracle !
Regarder aujourd’hui Le petit monde de Don Camillo avec attention et œil bienveillant et critique, – alors qu’on a vu le film dix fois, lors de sa sortie, mais aussi, un peu distraitement sans doute lors d’un de ses multiples passages télévisés – se pencher sur cet immense succès public, c’est un peu comme relire en adulte un bouquin formidable qui avait enthousiasmé l’enfant qui l’avait découvert.
Parce qu’il y a, comme ça, des œuvres universelles et durables qui peuvent faire le lien entre les générations et qu’on aime et apprécie qu’on ait dix ans ou soixante… Peut-être pas Jules Verne, mais sûrement Alexandre Dumas, par exemple ; seulement combien d’adultes prennent la peine de relire Les trois mousquetaires ou, mieux encore, Le comte de Monte Cristo ?
Eh bien, re-vision faite hier du premier volet des aventures de Don Camillo et de Peppone, j’ai l’immense plaisir d’annoncer Urbi et Orbi (la Semaine Sainte commence !) que c’est encore mieux que dans le souvenir, d’autant que, l’histoire étant connue, et les morceaux de bravoure assimilés, on peut concentrer l’attention sur le paysage global et les scènes secondaires.
On pourrait gloser des heures durant sur les raisons profondes du succès extraordinaire rencontré par la série (dont, il est vrai, les deux, voire les trois derniers épisodes peuvent aisément être oubliés) : ce n’est pas une Italie de carte postale qui est mise en scène, une Italie touristique qui, à coup de Venise, Rome, Florence ou Naples aurait pu séduire par son bel exotisme ; c’est la plaine du Pô, plate et un peu triste, perdue de brouillard ; c’est un récit dont l’histoire d’amour (entre Vera Talchi et Franco Interlenghi) est tout à fait secondaire et parfaitement symbolique ; c’est un conflit entre un prêtre solide irascible et un maire communiste coléreux et bon comme le pain, ce qui n’en fait pas précisément des héros glamorous ; c’est un film généreux, souriant, marqué d’un christianisme social essentiel, ce qui pouvait étonner dans le climat de Guerre froide qui prévalait alors.
h, certes Guareschi ne tient pas la balance égale entre les deux camps ; j’ai lu ici et là qu’il était clairement monarchiste et considérait (comme, je crois, beaucoup d’historiens sérieux) que le référendum de juin 46 qui fit pencher la balance pour la République avait été honteusement truqué. La balance n’est pas égale, et c’est toujours Don Camillo qui a le dernier mot, malgré quelques retours de bâton ; on pourrait voir, d’ailleurs, dans le tutoiement qu’il emploie envers Peppone, alors que celui-ci le vouvoie un signe majuscule de cette évidence. Peppone finit d’ailleurs toujours par être le dindon de la farce… mais il n’est pas dit qu’il en soit tellement marri. Ainsi lors de la délibération du conseil municipal de Brescello où, après avoir recueilli tous les avis de ses amis qui refusent que le cercueil de la vieille Madame Cristina (Sylvie) soit recouvert du drapeau royal revêtu de la Croix de la maison de Savoie, tranche impérialement C’est le Parti qui commande, ici, et le Parti, c’est moi !. Peppone est une crème d’homme, ombrageux, autoritaire, généreux, fait pour s’entendre, au delà de tous les mots, avec un Don Camillo qui est de la même espèce.
C’est sûrement pour cela que leur confrontation fonctionne si bien, d’autant qu’elle est observée, du haut de sa croix, par un Christ bienveillant et drôle, toujours prêt à instaurer la distanciation nécessaire et de rabattre le fort caquet de son flamboyant serviteur Camillo, qui s’indigne de tout, mais avant tout de l’égoïsme de ceux qui ont beaucoup reçu et ne veulent rien donner.
Il n’est en tout cas jamais plus magnifique que lorsqu’il est seul, entre propriétaires avides et bigotes frileuses d’un côté et révoltés hostiles de l’autre, quand, dans une scène d’une grande noblesse, abandonné de tous, à peine escorté par un chien errant, il porte seul le crucifix sur la vaste place du village, voyant massés au bout du chemin les Rouges hostiles qui s’écarteront bientôt devant sa détermination et salueront la croix.
C’est Gino Cervi qui devait, primitivement, jouer le rôle du prêtre, Guareschi interprétant le maire ; mais celui-ci, dès les premières prises, apparut si piètre acteur que la production exigea le bouleversement bienvenu qui nous enchante encore : deux grands acteurs au sommet de leur art, mis en scène par un grand réalisateur, un Duvivier qui a su, pour l’occasion, écraser son intime pessimisme et nous donner le témoignage de ce que peuvent apporter au monde les hommes de bonne volonté.