Le pigeon

soliti-ignoti

Beati pauperes spiritu

Depuis que le cinéma existe s’est créé un riche sous-genre où la précision horlogère le dispute à l’exploit individuel, dès qu’il s’agit de rapporter la grosse galette, les plans secrets du sous-marin ou les preuves de la culpabilité du traître. Cela consiste à s’introduire, par des moyens ingénieux, quelquefois rocambolesques dans le coeur même du coffre fort (aux sens propre ou figuré, bien sûr) et de pouvoir en ressortir sans trop attirer l’attention.

Que ce soit Mélodie en sous-sol, Le cerveau, Du rififi chez les hommes ou Mission impossible, le suspense tient à la riche personnalité d’individualités pittoresques tout autant que dans un usage très précis du temps du récit, que le cambriolage réussisse ou que – et c’est le cas la plupart du temps, pour des raisons moralo-sociologiques – il échoue plus ou moins lamentablement , comme dans les films premiers nommés ou dans Topkapi, par exemple.

N’empêche que, quel que soit le ton, grave ou plus léger, il y a, après présentation des personnages et préparation du casse, il y a donc un long moment, le plus haletant possible, de suspense et d’incertitude.

Tout cela donne de bons films, voire de très bons, mais peu de chefs d’oeuvre. Si j’exclus volontairement Ascenseur pour l’échafaud, dont le sujet est plus vaste et différent, me viennent à l’esprit spontanément Quand la ville dort et Le cercle rouge.

Et Le pigeon, récit tendre et chaleureux d’un ratage intégral accompli par d’attachants, de merveilleux minables, dans une Italie encore bien pauvre (on est pourtant déjà en 1958) où le petit peuple se débat, se débrouille, combine et survit avec le sens du tragique et de la bonne humeur caractéristique de notre soeur latine.

Si on rit beaucoup, s’il y a des scènes ou des situations d’anthologie (l’apprentissage par le vieux truand retraité, Dante Cruciani (Toto, en robe de chambre et en chapeau) de l’ouverture habile d’un coffre-fort, la possessivité maladive de Ferribotte (Tiberio Murgia, prodigieux) sur sa soeur cloîtrée, Carmelina (Claudia Cardinale, dans un de ses premiers rôles) et d’autres merveilles), on s’attendrit tout autant devant le courage quotidien de ces paumés qui essayent de préparer de manière quasi scientifique un cambriolage dérisoire et, après s’être trompés de mur à percer, se résignent à finir un fond de pois chiches pour au moins grappiller quelque chose. Et la séparation des Pieds nickelés dans le matin qu’on devine frisquet porte à la fois toute la résignation et toute l’espérance du monde.

Acteurs prodigieux (Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni, Renato Salvatori à l’orée de leur carrière, Toto éclatant), réalisation élégante et rapide d’un Monicelli inspiré, tendresse, à tout moment, pour les choses et les gens : une pure merveille, dans une excellente édition Canal+ classique.

A voir et à revoir…

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