Pas si mal…
L’intrigue principale de Black mic-mac est solidement stupide : un jeune glandouilleur, Lemmy, (Isaach de Bankolé) se substitue à un marabout réputé (Sotigui Kouyaté) appelé par des squatteurs africains pour jeter un sort à Michel Le Gorgues (Jacques Villeret) fonctionnaire des services d’hygiène qui a ordonné la destruction du foyer insalubre où se sont entassés des dizaines d’immigrants. Le brave Michel n’a pas fait ça par méchanceté, moins encore par racisme, mais parce que c’est un fonctionnaire scrupuleux et loyal et qu’il estime invraisemblable qu’on puisse subsister dans des conditions d’existence aussi malsaines et dangereuses que celles qu’avec ses collaborateurs, il a pu constater lors d’une visite exploratoire des lieux.
Tout ce qui touche à l’imposture de Lemmy, qui abuse assez facilement ses braves commanditaires, n’a aucun intérêt. En a à peine davantage l’évolution amoureuse de Michel Le Gorgues, séduit par une fraîche (quoique dodue) Anisette (Félicité Wouassi), d’abord chargée de le détourner de son devoir, mais qui se prendra elle aussi au jeu.
Mais bien plus significatif est le regard que le réalisateur, Thomas Gilou portait, il y a déjà près de trente ans, sur la situation d’un foyer africain illégal en proche banlieue de Paris. Ce qui est bien, c’est que le regard n’est ni misérabiliste, ni compassionnel, ni militant (bien que l’expulsion, finalement réalisée, soit un peu brutalement décrite). Le film est plein de bonne humeur, de sourire, sans aucune méchanceté : il a en tout cas le grand mérite de montrer, sommairement mais clairement, les singularités de la juxtaposition de deux mondes, certains diraient de deux cultures. Au joyeux bordel africain répond (sans s’y opposer vraiment) la rigueur administrative française. Les deux mondes ne peuvent pas vraiment se comprendre parce qu’ils sont fondés sur de telles différences, des bases si éloignées qu’on n’y parle pas le même langage, à tout le moins que les mêmes mots n’y ont pas le même sens.
Je me rappelle avoir entendu, il y a quelques années, la vertueuse indignation d’un journaliste de gauche, lors d’une expulsion des bâtiments devenus dangereux de je ne sais plus quelle ancienne résidence universitaire (Cachan, je crois). Les bâtiments, promis de longue date à la démolition avaient été, au fil des mois occupés par une population africaine bariolée. Les aménageurs du secteur avaient fait couper les réseaux d’alimentation, ce qui ne paraissait pas particulièrement gêner les squatteurs. Les femmes venaient s’approvisionner en eau à quelques robinets et bornes pour pompiers au pied de la résidence. Le journaliste s’indignait donc qu’on pût avoir le cœur assez cruel – il n’osait pas encore dire assez français, mais pour lui c’était du pareil au même – pour obliger des ménagères à accomplir des tâches aussi ingrates et épuisantes et, de fait, comme il n’y avait plus d’électricité non plus, donc plus d’ascenseurs, le boulot était dur). Il ne lui venait naturellement pas à l’esprit que les hommes, qu’on voyait, sur les images, occupés aux palabres traditionnels, eussent pu aider leurs compagnes. Mais surtout, je me souviens de la réflexion d’un des occupants à qui la télévision demandait s’il ne jugeait pas inhumain le traitement infligé, qui tout naturellement et avec une certaine naïveté avait répondu que c’était toujours mieux qu’au pays où elles devaient faire parfois plusieurs kilomètres pour aller chercher l’eau au puits…
C’est à peu près la même incompréhension qui sépare, dans les meilleurs moments de Black mic-mac Européens et Africains et ça donne des moments assez drôles surtout parce que, je le répète, le regard du réalisateur n’est pas agressif. Et ça donne un bon petit film que je n’ai pas été mécontent de découvrir hier sur une chaîne secondaire (ou même tertiaire !), alors même qu’un extrait figurait dans la superbe anthologie des Enfants de Lumière, qui a eu le bon esprit de ne pas s’appuyer que sur des chefs-d’œuvre…