Après plusieurs années d’ardente méditation, voilà que je me lance, en cet hiver presque fini, en un péan enthousiaste autant qu’abusif sur un film qui, à chaque fois que je l’ai vu (et je ne dois pas être loin de la quinzaine) m’apparaît comme le comble d’un cinéma burlesque à la française qui, à vrai dire, n’a pas laissé beaucoup d’autres traces.
À quoi comparer, d’ailleurs, dans le cinéma mondial Ah ! les belles bacchantes sinon à cette autre anomalie cinématographique sans postérité, Hellzapoppin, qui est plus rythmé, sans doute plus loufoque, mais beaucoup moins roublard et salace ?
Salace : c’est je crois le mot qu’il faut, si l’on veut bien essayer de se projeter dans ce que pouvait être, en 1954, la représentation à l’écran d’une nudité (limitée), gentille, bon enfant, ni timide, ni guindée. Une nudité qui n’est pas le moins du monde érotique, et qui n’est pas non plus graveleuse, simplement polissonne.
Lorsqu’en 1954, les cinémas de Châteauroux ou de Mont-de-Marsan annoncent au spectateur adulte (car le film fut interdit aux moins de 16 ans) que, pour son prochain programme il aura droit aux Cent plus belles femmes de Paris qui, de surcroît, seront déshabillées, une lueur vermeille ne peut que s’allumer dans son œil somnolent…
Qu’est-ce qui a permis cela ? La réputation, au music-hall de la troupe des Branquignols menée par un plaisantin talentueux, Robert Dhéry, qui, depuis la fin de la Guerre, remporte un tonitruant succès (à qui l’effet de scandale n’est pas étranger), mais aussi parce que toute l’action, si on peut dire, se déroule, précisément sur la scène et dans les coulisses d’un théâtre qui, chacun le sait, est un monde à part, peuplé de gourgandines sans moralité et de zigotos qui se couchent à pas d’heure. Il y a donc un effet de distance qui rend les nudités du film presque aussi anodines pour la moralité publique que les images de négresses ou de vahinés dans un film ethnographique. Et comme dans Hellzapoppin, il s’agit de la préparation d’une revue et des grains de sable qui viennent perturber ce qui devrait être un parfait mécanisme d’horlogerie.
Cela dit, si Ah ! les belles bacchantes se limitait à montrer de jolies poitrines et des jambes un peu moins longues, me semble-t-il, que celles d’aujourd’hui, le film lasserait vite et ne vaudrait pas tripette. Même si toutes les occasions sont saisies pour montrer un sein rondelet, son intérêt repose sur bien d’autres choses : les acteurs, la musique, les saynètes.
Les acteurs, d’abord. Je trouve que Louis de Funès est encore plus abusivement grimacier et chafouin que de coutume, même si je lui reconnais, ici et là, des bribes de talent et quelquefois de génie. En tout cas dans le film il est loin d’éclipser Raymond Bussières, plombier parigot, Jacqueline Maillan, fofolle directrice du théâtre, Jacques Legras, présentateur maladroit du spectacle, Roger Caccia, au drôle de physique, Jacques Jouanneau, régisseur plaintif, et, naturellement, Robert Dhéry et Francis Blanche (qui, lui, est un régal).
La musique, ensuite : elle est de Gérard Calvi (père de l’excellent journaliste Yves Calvi, soit dit en passant), qui, après de solides études au Conservatoire de Paris, fut Grand Prix de Rome : c’est un excellent mélodiste et la qualité de ses harmonies n’est pas pour rien dans le charme du film…
Les saynètes, enfin : Ah ! les belles bacchantes est un habile mélange de ballets (Les démons de la forêt, La Loïe Fuller), de défilés de présentation de jolies filles dévêtues sur des prétextes cocasses (La création du monde, La mode en 1954) et de courtes histoires chantées (La Léopolda, formidable), muettes (Les voyeurs de cabines de plage) ou dansées (Frère Jacques) dont la plupart sont très réussies.
Voilà sûrement un bien long message pour un si petit film, qui pourrait paraître insupportable de ringardise, de niaiserie et de facilité bon enfant aux spectateurs de moins de 60 ans qui auraient l’idée saugrenue de le regarder. N’empêche que je me suis encore régalé !