Les Chiffonniers d’Emmaüs

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La petite fille Espérance

L’abbé Pierre est essentiel et considérable dans ces Chiffonniers d’Emmaüs et le rôle est excellemment tenu par le trop peu connu André Reybaz, qui met beaucoup de flamme, de ferveur, d’ardeur dans son interprétation. Le véritable Abbé Pierre intervient, lui, au tout début du film pour en recadrer le contexte et indiquer que, si tous les rôles sont tenus par des acteurs, toutes les histoires personnelles sont véridiques.

Ce qui donne donc au film un cachet d’authenticité que ne possède évidemment pas Hiver 54, l’abbé Pierre, avec Lambert Wilson qui scénarise et relate l’insurrection du cœur de ce terrible hiver, l’appel sur Radio-Luxembourg et le déferlement de la charité qui s’est ensuivi.

 Que Les Chiffonniers d’Emmaüs ait été tourné pour, si j’ose dire, profiter de cet immense élan, pour le prolonger, en faisant connaître l’origine de l’action de l’Abbé n’est pas douteux, mais n’est pas pour autant scandaleux, bien au contraire. L’Abbé n’était pas un révolutionnaire, mais davantage un révolté ; et surtout son propos constant consistait à tout moment non pas de remettre à un horizon lointain, celui des Lendemains qui chantent, la solution des problèmes, mais de proposer à tout moment une action, même imparfaite et parcellaire. Ici et maintenant, que vais-je faire ?

Si le film est plein de bons sentiments – mais aussi tissé d’histoires dures – il ne manque pas pour autant d’intérêt, loin de là, et pas seulement pour la sorte de documentaire qu’il est sur un Quart-Monde qu’on a trop vite cru disparu, dans les exceptionnelles vitalité et prospérité économiques des deux derniers tiers des Trente glorieuses, Quart-Monde revenu en force depuis vingt-cinq ans.

D’abord, c’est un film plein d’acteurs, plein de bons acteurs et ceux qui, comme moi, les aiment se régalent de voir apparaître à tout moment des visages connus, quelquefois dans des rôles assez conformes à leur habituelle image (Gaby Morlay en secrétaire de l’Abbé, fourmi affairée et vouée au Bien, comme dans Le voile bleu, ou Pierre Trabaud en ancien baroudeur), quelquefois plus inattendus (Madeleine Robinson en mère de famille nombreuse, ou Jacques Fabbri en brave flic généreux). Et plein d’autres, de Pierre Mondy à Dany Carrel, de Paul Guers à Yves Deniaud.

Et puis les histoires sont attachantes et bien liées ; privilège de l’authenticité ? Sans doute, parce que, sans misérabilisme aucun, il y a là-dessous de lourdes histoires terribles d’hommes et de femmes qui ont retrouvé, non sans mal, une dignité et la capacité de vivre debout. Bien sûr, ça date de 1955, et, pour ne pas effarer le public qui découvrait au cinéma ce qu’il ne soupçonnait sans doute guère, à une époque où la télévision naissante ne proposait pas de magazines de société, on a sûrement affadi un peu certaines violences ou certaines horreurs, et la plupart des histoires singulières s’achèvent bien (mais pas toutes ! une mort, un vrai chagrin d’amour…). Mais il y a de la pâte humaine, solide, et souvent émouvante.

C’est tourné sans beaucoup de talent, mais sans fausse note non plus par un Robert Darène dont je n’avais jamais entendu parler, mais qui ne s’en sort pas si mal ; et le DVD – René Château, hélas ! – comporte une image très correcte, mais un son épouvantable ; ce n’est pas trop grave, parce que les dialogues ne sont pas étincelants et que la musique de Joseph Kosma est trop emphatique pour être honnête.

Et c’est pourtant bien, que ça émeuve ainsi, ce monde de zones désolées et de cheminées d’usines, de décharges à ciel ouvert et de kils de gros rouge.

Me revient à l’esprit un beau texte d’un ami : Ce qui m’étonne à travers l’impossible cortège de nos esclavages, c’est que l’on puisse espérer contre toute espérance. Ce qui m’émerveille, c’est que malgré un désir piégé dans la loi, on puisse encore parler d’amour, que malgré un langage clos dans sa syntaxe, la poésie soit une brèche où l’ange fait signe

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