Tristes enfants perdus…
Un film dont tous les personnages, tous les protagonistes sont à la fois ridicules, exaspérants et tragiques ne peut pas ne pas éveiller l’attention, ne pas susciter l’intérêt. Et si l‘American way of life me paraît le comble de l’abomination, avec ses pelouses bien taillées, ses relations hypocrites entre voisins, ses voitures qui ressemblent à des chars à bœufs, ses chevelures permanentées, si ce monde-là me paraît à cent mille lieues du mien, j’apprécie tout de même la qualité du récit de Sam Mendes et l’habileté avec quoi il tisse la trame de cette histoire triste.
Tous les personnages d’American beauty sont fatigants, irritants, exaspérants ; il n’y en a pas un qui rachète l’autre, un avec qui on a envie de s’identifier… Et pourtant chacun d’eux porte en lui une étincelle, une bribe de chaleur, une parcelle d’humanité, un bout d’empathie qui permet que l’on se penche sur eux comme des frères de misère…
Le désastre des vies, dans ce film profondément humain et terriblement pessimiste, c’est avant tout le désastre des occasions ratées ; de la vie qu’on voulait grande, mais c’est une toute petite vie, comme chantait Alain Souchon ; des résignations et des habitudes ; des frustrations et des névroses ; des envies et des fantasmes ; des fatigues et des àquoibonismes, comme chantait Gainsbourg…
Il n’y a pas un trait d’amour vrai, pas un zeste de générosité dans les gestes de ces tristes enfants perdus : il y a de l’amour-propre, de l’orgueil, du désir, de l’égarement et beaucoup, beaucoup de désespoir.
La pluie tombe, interminable. Lester Burnham (Kevin Spacey) a eu un haut-le cœur en apprenant qu’en touchant à Angela (Mena Suvari), la copine de Jane, sa fille (Thora Birch), il la déflorerait. Jane et Ricky (Wes Bentley), le fils des voisins vont partir pour New-York essayer de vivre une drôle de vie, qu’on n’imagine pas très nette. Et le voisin, précisément, colonel des Marines (Chris Cooper), ulcéré de s’être révélé son homosexualité et ne pouvant en supporter la présence obsédante, va tuer Lester, au moment même où revient à la maison Carolyn Burnham (Annette Bening), qui vient de rompre avec son amant, par lassitude et désenchantement.
Rien de bien gai, en effet. Mais rien qui ne soit profondément humain.