L’enfance nue.
Si L’Atalante me semble être un des plus beaux chefs-d’œuvre du cinéma, et si je tiens À propos de Nice, film muet et documentaire pour un festival d’idées et d’images, j’ai moins de tendresse pour Zéro de conduite qui me semble plus brouillon, plus rageur et moins convaincant que les autres films du météore Jean Vigo.
Pourtant cette exploration à la fois attendrie et cruelle de la vie d’un collège-prison, comme il en existait beaucoup dans les deux premiers tiers du dernier siècle a dû influencer profondément d’autres réalisateurs. En premier lieu Christian-Jaque : regardant Zéro de conduite, j’ai retrouvé, ici et là, l’atmosphère du merveilleux royaume des Disparus de Saint-Agil : lits de fer des dortoirs, conspirations des élèves, air grognon des surveillants et pédagogues et jusqu’au squelette qui trône en bonne place en classe de Sciences naturelles, comme le fait Martin, l’emblème totémique des Chiche-Capons.
Qui voudrait pourtant trouver une parenté profonde à ces deux films aurait bien du mal, tout autant que s’il voulait rassembler dans le même domaine des films de collège des œuvres aussi différentes que La cage aux rossignols, Topaze, Les diaboliques ou Au revoir les enfants. L’adolescence est un Royaume, c’est entendu, mais tous les Royaumes ne connaissent pas la même prospérité ni le même bonheur.
D’abord, il faut replacer Zéro de conduite dans un contexte conjoncturel : c’est un moyen métrage (42 minutes) tourné en 1934 ; même si le parlant date déjà de quatre ou cinq ans, le film ne s’est pas encore totalement émancipé des pratiques et habitudes du Muet. Il laisse une grande place à des jeux de caméra, au demeurant fort habiles, à des cartons explicatifs intermédiaires entre les séquences et à des attitudes d’acteurs parfois un peu trop expressionnistes. Puis la médiocrité des moyens techniques a obligé Vigo à des équilibrismes de prise de sons qui peuvent surprendre nos habitudes de confort auditif ; ceci est très bien expliqué dans un des suppléments du DVD, qui met en valeur la remarquable restauration qui a été faite pour cette édition.
Mais avant tout, le collège de Zéro de conduite est un espace de trouble et de rébellion (ce qui est tout de même une gageure et un paradoxe pour le Royaume que j’évoquais ci-dessus), marqué par l’engagement personnel de Vigo, fils de l’anarchiste pacifiste Miguel Almereyda, suicidé pendant la Grande guerre. Ce qui monte peu à peu des classes, des dortoirs et des cours de récréation, suscité à la vie, sinon encouragé par Huguet (Jean Dasté), surveillant funambule et lunaire, ce n’est pas l’esprit de chahut, c’est l’esprit de révolte et même de révolution. La fête du Collège saccagée par l’évasion des pensionnaires ridiculise les adultes et singulièrement les représentants symboliques du Pouvoir : le préfet, le prêtre et le principal du collège. Celui-ci d’ailleurs est interprété par Delphin, un acteur qui ne devait pas dépasser 1,30 mètre (sans être pour autant atteint de nanisme), ce qui accentue une impression de malaise et justifie, de cette manière, l’émeute finale.
Comme justifie qu’on revoie ou qu’on découvre Zéro de conduite ce qui est sans doute la scène la plus connue du film, où les gamins se battant dans leur dortoir à coup de polochons les éventrent et dans une atmosphère totalement onirique, sous les plumes qui volent, dans un superbe ralenti, singent une procession religieuse.
Profaner, d’une certaine façon, c’est encore rechercher.