À fuir !
Nelly Kaplan est une drôle de femme, qui a été très belle, a été l’amie de tas de gens intelligents, a écrit des romans d’un érotisme trouble sous le pseudonyme de Belen et, en talentueuse touche-à-tout, a tâté passablement de la réalisation. Je ne suis pas de ceux qui ont trouvé, à sa sortie, en 1969, que son premier film, La fiancée du pirate était un Walhalla de la création cinématographique ; cette fable assez caustique valait beaucoup pour la présence, la gouaille, le charme, la liberté de Bernadette Lafont et parce qu’elle était assez en symbiose avec les idées alors à la mode, mais enfin, ce n’était pas mal du tout.
Il y a quelque temps j’ai regardé Plaisir d’amour, qui date de 1991, et qui, malgré bien des balourdises, ne m’a pas ennuyé, sans doute grâce à un trio d’acteurs intéressants (Pierre Arditi, Françoise Fabian, Dominique Blanc). En glissant dans mon lecteur de DVD Charles et Lucie, qui est de 1979, je n’avais donc pas de préventions ni de réticences ; je m’étonnais simplement que le haut de l’affiche fût occupé par deux acteurs plus connus pour leur capacité à tenir l’arrière-plan. Et si j’ai beaucoup de sympathie (comme tout le monde, j’imagine) pour le jeu, souvent très fin et narquois de Daniel Ceccaldi, je ne me souvenais de Ginette Garcin qu’en chanteuse fantaisiste de la veine marseillaise, oubliant qu’elle avait tourné avec Michel Audiard et Jean Yanne, dont, au demeurant, les qualités de cinéastes n’étaient pas à la mesure de leurs autres talents.
Bref, j’étais tout de même un peu sceptique, mais pas trop mal disposé envers ce road-movie de deux minables, lui paresseux profiteur structurel, elle ancienne vedette réduite à faire des ménages pour entretenir son homme, tous deux unis par de vieilles amours, qui se font escroquer, se retrouvent sans un sou, partent à l’aventure et connaissent mille tribulations.
Mais comment peut-on mettre en scène un film aussi vide, ridicule, niais quand il devient sentimental, gênant quand il exhibe les nudités assez rassises des héros, mis en musique par l’atterrant Pierre Perret qui a à peu près le sens de la mélodie que moi du macramé ? Un film aussi accablant que ceux de Robert Thomas, Raoul André ou Claude Pierson, où triomphait l’immortel Paul Préboist, mais avec, en plus, une certaine prétention à faire dans l’intelligent et le profond.
Au contraire du théâtre (où l’on peut jouer Mère courage en tenue de ville dans n’importe quel hangar), le cinéma est une forme d’expression qui demande tout de même un peu d’argent, même si on ne fait pas appel à des vedettes de première magnitude : tous ceux qui, un jour ou l’autre, ont croisé un tournage (même celui d’un court métrage) ont sûrement été impressionnés par le déploiement de matériel et de collaborateurs techniques que la moindre scène exige… Comment comprendre alors qu’on ait pu trouver assez de fonds pour réaliser Charles et Lucie ? Quel banquier fou a mis cent piastres dans ce naufrage ? Quel fonctionnaire irresponsable du Centre national de la Cinématographie a pu consentir une aide d’État pour cette nullité ?
Car c’est nul, mais nul ! Sans esprit, sans drôlerie, sans allure, sans rythme… Et épouvantablement mal interprété… Je sais qu’il faut bien vivre et que bien des acteurs, même notoires, sont lancés à la course au cachet… Mais tout de même ! Si on se doute que Ginette Garcin ne laissera pas la moindre trace dans l’histoire de la comédie, on est peiné pour Daniel Ceccaldi, si fin chez François Truffaut ou chez Pascal Thomas…
Pas une image, pas une réplique, pas un sourire à sauver. Le néant.