Comment s’en lasser ?
En sortant enchanté, ravi, comblé, de la salle de cinéma de 1978 où j’ai découvert la bande du Splendid, je n’imaginais guère que je reverrais le film dix fois, vingt fois, sur le grand ou le petit écran, en entier ou en petits morceaux de puzzle, lors d’une émission consacrée à un des acteurs du film ou pour illustrer l’atmosphère des clubs de vacances. Mais j’imaginais encore moins que mes enfants, qui n’étaient pas nés alors, en connaitraient, comme toute leur génération de triagénaires, des scènes entières, les réciteraient sans qu’une réplique soit oubliée et anticiperaient tous les bons mots lorsque, comme ça nous est arrivé l’autre dimanche, nous projetons en famille les deux DVD à la suite l’un de l’autre.
Les bronzés, c’est moins un film qu’une suite de sketches, de scènes, de portraits acérés et – quelquefois – profonds de personnages ; rien de moins linéaire, mais le fil ténu d’un groupe hétéroclite dans une situation de vacances relativement banale, comme des millions de gens en ont fait, en font chaque année l’expérience. Mais ces petites tranches de vie sucrées, acides et parfois amères, directement issues du café-théâtre, sont mises en scène avec beaucoup d’habileté et beaucoup de rythme par Patrice Leconte, réalisateur qui proclame à qui veut l’entendre qu’il adore les comédiens. Et il tombe sacrément bien avec la génération dorée (tous nés entre septembre 51 et novembre 52) de copains du lycée Pasteur de Neuilly qui lui offre tout à la fois un petit gros glapissant (Gérard Jugnot), un petit maigre hystérique (Michel Blanc), un petit brun charmeur (Christian Clavier), un très beau garçon séducteur et fragile (Thierry Lhermitte) et une petite blonde piquante (Marie-Anne Chazel)… Peut-on imaginer physiques plus différents et, comme on dit au théâtre, emplois si différents, simplement unis par de vieux liens de copinage ?
Et si on ajoute à cette base solide deux comédiennes au physique passe-partout et au jeu acéré (Josiane Balasko et Dominique Lavanant), on a quelque chose qui vaut la peine. Ne reste qu’à compléter le gâteau par deux cerises (Michel Creton et Luis Rego) qui tiennent solidement la route (je sais : la métaphore est hardie !) et qui, d’ailleurs, en 1978, étaient notablement plus connues que les jeunes gens de la troupe : la recette tient du gloubi-glouba, mais elle régale tout le monde…
Et puis aussi, ce qui n’est sans doute pas étranger au succès du film, c’est sa tonalité insidieusement douce-amère. Je sais bien que Leconte est bien loin d’avoir tiré Les bronzés vers la comédie à l’italienne (ce qu’il fera plus tard avec l’admirable Tandem), mais il y a tout de même un sacré malaise qui plane ici et là, et qui apparait d’autant mieux qu’on le voit et revoit. Je ne dis pas cela pour la mort de Bourseault (Michel Creton), trop incongrue pour être très tragique (Il a fait « Bip-bip ! », on a fait « Meuh ! », la raie l’a piqué, il a coulé comme une pierre), ni même pour les tristes hypocrisies des époux Morin (Jugnot et Balasko), mais pour la dimension générale d’incompréhension, de frustration, de fausse complicité, de fausses amitiés de vacances, pour les désillusions de Bobo (Régo) qui se rêvait en clown et qui est réduit à être un gugusse saisonnier sans espérance et sans avenir, pour l’insupportable gloutonnerie sexuelle de Popeye (Lhermitte), qu’il ne supporte d’ailleurs plus, mais à quoi il est bien incapable de résister…
De ces petits riens, qui sont l’eau grise des vies, même quand on l’illumine du soleil brûlant de Côte d’Ivoire, il y avait de quoi faire quelques drames. Ce qui n’est finalement pas si loin de la comédie.