Sûr que c’est de la belle ouvrage ! Il ne manque ni une vestale, ni un licteur, ni un buccin, ni un tuba, les effets de foule sont impressionnants, la reconstitution des monuments antiques parfaitement léchée, le chatoiement des couleurs rendu avec une précision maniaque. On l’a dit, c’est impeccablement hollywoodien, impeccablement technicolorisé. Et mis en musique par un vieux routier habile, Miklos Rozsa, qui a connu une grande réussite dans beaucoup de genres, notamment dans le péplum (Jules Cesar, Ben Hur, Le Roi des Rois, Sodome et Gomorrhe).
C’est de la belle ouvrage mais, outre que c’est bien long et souvent languissant – surtout la première partie, bavarde, interminable – c’est précisément un peu trop marmoréen pour émouvoir. Robert Taylor et Deborah Kerr qui interprètent Marcus et Ligia, les héros du film sont terriblement figés et ne parviennent pas une seconde à faire croire en leur passion. Peter Ustinov pourrait être un Néron comme on l’imagine (et les propos qu’il tient sur l’assassinat de sa mère et de sa femme et sur l’incendie de Rome sont bien intéressants) mais il est trop livré à lui-même, trop caricaturalement outrancier, trop glapissant.
En revanche Poppée (Patricia Laffan) a un visage d’une perversité intéressante ; et bien que rien ne rappelle dans le personnage de Pétrone (Leo Genn) l’auteur sarcastique du Satyricon, sa subtilité d’esprit, sa finesse, son habileté sont bien rendues.
Et puis, alors que le film devrait tout de même un peu toucher de plus près à la naissance du christianisme, aux premiers âges de l’Église, il est complètement dépourvu de spiritualité et l’on reste complètement extérieur à la fièvre de converti qui anime Saint Paul (Abraham Sofaer) et presque à la foi d’apôtre de Saint Pierre (Finlay Currie) sauf – essayons d’être juste – quand il proclame les Béatitudes dans la catacombe. Un sujet pareil ne peut pas, pour les Occidentaux que nous sommes, pour le chrétien que je suis, être aussi exempt d’émotion, ne pas essayer de transmettre un peu de la ferveur des martyres qui se faisaient dévorer par des bêtes féroces, crucifier, brûler en chantant des hymnes sacrées et en appelant sur leurs persécuteurs la miséricorde de Dieu.
Je sais bien que j’ai écrit un peu le contraire dans un message sur le Barabbas de Richard Fleischer que je préfère à Quo vadis ? ; je suis bien conscient de la difficulté qu’il y a de faire coexister dans un même film le caractère spectaculaire que l’on souhaite à un péplum et l’intériorité spirituelle que l’on demande à une histoire si mystérieuse que celle de l’apparition de l’Église du Christ ; c’est difficile, mais on y peut arriver : ainsi Ben Hur, ainsi l’extrême fin de La Tunique…
Cette grande machinerie aux milliers de figurants, aux décors gigantesques spectaculaires, aux personnalités presque sans nuances, qui confine la montée du christianisme à ses aspects les plus superficiels et anecdotiques est finalement assez fade : le grand spectacle envahit tout : on a envie de dire Bravo ! C’est très bien ! et de passer à autre chose.