Très bien, très Minnelli
Il faut tout de même un peu plus de tristesses, de tragédies, d’accablement dans un mélodrame pour que l’histoire, par son outrance même, puisse séduire et, au sens littéral, enchanter. En ce sens, Comme un torrent est une histoire idiote, absolument insignifiante, sans profondeur ni émotion. Il faut aussi que les personnages soient structurés, intéressants (et même caricaturaux), alors que le film de Vincente Minnelli n’offre que des zigotos exaspérants ou sans consistance.
Et pourtant c’est un très beau film. Mais un beau film à la Minnelli, où la forme, d’une impeccable virtuosité, l’emporte toujours sur la substance, sur l’épaisseur : ainsi Gigi, ainsi Brigadoon : léger, superficiel et supérieurement brillant, avec des compositions d’images d’une exceptionnelle qualité, avec un choix de couleurs éblouissant, mais sans beaucoup de chair et moins encore de sang.
Un très bon point pour la distribution : Frank Sinatra et Dean Martin, chevilles ouvrières de la Bande des Rats n’étaient pas seulement des crooners à la voix de miel et des déconneurs majuscules. J’avais déjà trouvé le premier extrêmement bon dans L’homme au bras d’or ; du second, je ne me rappelais que les indignes pitreries où il était le faire-valoir de l’histrion Jerry Lewis et le rôle d’ivrogne qu’il incarnait dans l’ennuyeux Rio Bravo. Les deux m’ont paru là au mieux de leur talent.
Mais ils ne sont pas seuls : Arthur Kennedy, en Frank Hirsh, frère parcimonieux, étriqué, hypocrite de Dave (Sinatra) est convaincant ; Shirley MacLaine glapit bien un peu trop, en fille facile cinglée et amoureuse, mais elle est aussi assez attachante. Le personnage de Gwen French, tête-à-claques dont tombe amoureux immédiatement Dave et qui chipote, hésite, se questionne, fuit, revient, ne se résout pas à s’avouer qu’elle aime aussi est très bien joué par une inconnue, Martha Hyer. Et Édith (Nancy Gates) la secrétaire habile séductrice du parcimonieux frère est absolument ravissante.
Je ne suis pas tellement amateur de la musique d’Elmer Bernstein, un peu didactique et sans personnalité, sauf, sans doute, lors du générique de début, où elle a une agréable tonalité de marche funèbre. En tout cas elle ne dénote pas dans les images magnifiques, symphonies de couleurs, et dans la composition des images, toutes superbes, équilibrées, harmonieuses. C’est pour cette atmosphère picturale que Comme un torrent mérite d’être vu.