Tiens donc…
Après avoir regardé Mamma Roma, je crains bien de devoir revenir sur la piètre opinion que je me suis faite, depuis des décennies sur le talent de Pier Paolo Pasolini dont l’étrange fascinante personnalité m’a longtemps rebuté. Il est vrai aussi que j’avais été largement décontenancé par la Trilogie de la vie (Le Décaméron / Les Contes de Canterbury / Les Mille et une nuits), que je pensais être une suite de films salaces, qui alors émoustillaient mes vingt ans, et qui étaient en fait des œuvres assez dérangeantes et que les critiques lues sur Théorème ou Porcherie m’avaient rebuté.
Depuis lors, j’ai compris en voyant l’abominable et génial Salo que le bonhomme était bien davantage porté sur la Spiritualité et sur la question du Mal que je ne le pensais. Je ne me suis d’ailleurs pas encore tout à fait remis de ce film épouvantable.
Dire que Mamma Roma s’inscrit dans la veine néo-réaliste du cinéma italien me paraît tout à la fois évident et parcellaire. Il y a bien sûr la pauvreté de l’Italie d’après-guerre, la lente reconstruction du pays, les prémisses balbutiantes de l’expansion, l’incertitude entre l’espoir et la frustration, le goût du mélodrame. On retrouve des images ou des souvenirs de Sciuscia, d’Europe 51, d’Umberto D. dans la façon de filmer le quotidien des petites gens, les quartiers de friche, les petits trafics, la prostitution.
Mais Pasolini, pour son deuxième film, n’a pas – et de loin – la maîtrise d’un Rossellini et d’un De Sica : il installe du conte, de la parabole, du symbole là où la sécheresse distante devrait s’imposer, comme dans Le voleur de bicyclette : cela peut donner des résultats troublants et très réussis comme les errances nocturnes filmées en travelling arrière de la prostituée Mamma Roma, (Anna Magnani), abordée par des personnages avec qui elle parle un instant puis qui s’effacent dans la nuit ; mais cela peut aussi tomber dans le symbolisme douteux de la crucifixion du fils, Ettore (Ettore Garofolo), ligoté sur une civière et dont le fond du caleçon est clairement maculé. Il est vrai que les images initiales de la noce du maquereau singent la Cène de Vinci.
Le meilleur est, à mon sens, la façon de filmer la poussière sale des terrains vagues, leur pauvre végétation (une végétation pour pauvres ?), tout cela au milieu des vestiges écroulés de la gloire de l’Empire romain et dans la perspective des cités modernes qui se construisent pour accueillir les naufragés de l’exode rural.
Les acteurs, pour la plupart non professionnels, sont généralement expressifs et intelligemment employés, à quelques exceptions près (la prostituée Biancafiore – Luisa Loiano, vraiment trop gourde). Mais Bruna (Silvana Corsini) est parfaite en pauvre fille sur qui tout le monde a pris son plaisir…
Et Anna Magnani alors ? Un tempérament, un talent brut, brutal même, absolument superbe, mais peut-être (sans doute ?) que Pasolini n’a pas osé assez canaliser : cela peut donner des instants magnifiques, mais ça peut aussi dériver vers des outrances un peu hystériques.
N’empêche que ça a commencé à me réconcilier avec Pasolini. Prochaine étape ? J’ai le choix… Accatone, un des volets de la Trilogie (Le Décaméron, et je verrai après, si ça marche, les deux autres) ou bien plus sereinement L’Évangile selon saint Matthieu ?