Les routiers sont un peu poussifs.
Allez va, ça mérite tout de même un peu plus que la moyenne, mais tout juste, et seulement grâce à la présence de Jean Gabin, extrêmement massif et de toute une équipe solide de seconds rôles qu’on imagine amateurs de potée aux choux (on est dans le Puy-de-Dôme), de civet de lièvre et de vins rustiques. Ça permet de passer sur une intrigue assez médiocre, faussement compliquée, mais dont on voit très vite les ressorts et les failles.
Un mot désagréable sur le ridicule de l’équipe de voyous, tout à la fois sanguinaire et inoffensive et qui se fait doubler par tout le monde. Après un casse meurtrier, un des malfrats, Scoppo (François Darbon) s’enfuit avec le butin mais se fait lui-même assassiner par sa femme. Le doigt du hasard fait que le brave camionneur Jean Chape (Gabin), lors d’une nuit pluvieuse, roule sur le corps déjà mort de Scoppo, se voit suspecté de l’accident par la maréchaussée et de la récupération de l’argent volé par les bandits.
Avec un peu plus de culot, et si la mode avait été à ce genre, Gilles Grangier aurait pu tourner, dans cette année 1955 une de ces agréables comédies macabres réalisées avec bonheur par Georges Lautner quinze ans plus tard, de Fleur d’oseille à Est-ce bien raisonnable ? et ça n’aurait pas été plus mal, le grand talent d’André Pousse, par exemple, remplaçant l’inénarrable médiocrité de Roger Hanin qui fait les gros yeux, joue de sa voix de basse, promet à tout instant que ça va barder et se retrouve parfait niquedouille. Et notamment roulé par Ginette Leclerc, qui parviendrait presque à ses fins en se débarrassant de ses complices si la vigilante police française ne veillait pas au grain. Cette délicieuse actrice apparaît tout de même un peu amortie dans le film, mais qui connaîtra un beau chant du cygne dans le rôle de l’ancienne tenancière de maison close, femme de Bertrand Blier du Cave se rebiffe.
Le brave camionneur (Gabin, donc) forme un assez curieux ménage avec l’institutrice du village, jouée par Jeanne Moreau, qui n’était pas encore un nom important du cinéma français et qui offre de la fraîcheur et du charme. La petite vie tranquille de ce coin d’Auvergne, entre routiers à gros biscottos, bistros à clients rigolards, et petits commerces animés (très bon petit rôle de Marcel Pérès, en coiffeur à fortes moustaches) est assez joliment décrite ; mais l’entrelacs de cette France paisible et l’histoire policière est bien grossier et la progression de l’histoire bien maladroite.
Jolie leçon de choses nostalgique, l’attitude de l’institutrice Alice avec sa classe : quand elle arrive, tous les enfants se lèvent, les bras croisés sur la poitrine et attendent que la maîtresse les autorise à se rasseoir ; le moindre bavardage vaut au gamin un problème à faire en punition ; il n’est pas question de tutoiement, ni, évidemment, des élèves envers la maîtresse ni de la maîtresse envers les élèves ; un exemple de dictée ? Sur des claies en osier séchaient des milliers de prunes cuites et recuites au soleil. Elles étaient exquises. Cette discipline et ce respect du savoir (et des individus) n’empêchaient nullement, à la récréation et à la sortie de l’école, les filles de jouer à la marelle et les garçons de se ficher de délicieuses peignées.
Le progrès fait Rage, y’a pas à dire.