Laura

« Le meurtre est mon violon d’Ingres ».

Je découvre de film mythique et je suis de ceux qui pensent que s’il était dépourvu de l’extraordinaire beauté de Gene Tierney, il y a longtemps qu’il aurait été classé parmi les productions de série d’un Hollywood omnipotent, avec les autres films de l’honnête artisan Otto Preminger, une sorte de Decoin ou de Joannon du cinéma étasunien, aussi oublié aujourd’hui que ses confrères français. Ce n’est pas mal, Laura, mais c’est bien convenu, à partir du moment où, à la 45ème minute, celle qui était censée avoir été assassinée refait surface. S’ensuit alors une de ces intrigues invraisemblables qui ne fonctionnent qu’au théâtre, où les spectateurs sont bien obligés de suivre le rythme de ce qui leur est conté.

Et, de fait, le film s’apparente souvent au théâtre, les protagonistes se réunissant, comme par magie, lors des scènes où l’on a besoin qu’ils soient tous simultanément présents. Je ne dis pas que c’est désagréable, mais enfin à partir du moment où, l’un après l’autre, tous les assassins possibles ont été disculpés, l’évidence du crime du précieux et péteux Waldo Lydecker (Clifton Webb) apparaît. Et tous le monde est bien content, parce que la jactance, la morgue, la suffisance, la prétention dudit sont devenues insupportables et qu’on est ravi de le constater aussi cinglé et aussi méchant. Et qu’il se fasse dessouder à la fin est de l’ordre de l’évidence.

11-lauraScénario bien médiocre, donc, alors que, aux débuts du film ou mieux, jusqu’à ce que Laura Hunt réapparaisse (coiffée, soit dit en passant d’un hideux chapeau de terre-neuva), on pouvait rêver à un autre film où apparaît Gene Tierney, L’aventure de Mme Muir, nimbé de poésie fantastique ; j’ai naïvement pensé que le lieutenant McPherson (Dana Andrews), contemplant le portrait de Laura allait s’assoupir et se retrouver en face d’une sorte d’apparition ectoplasmique, à la Poe qui le conduirait vers un monde enchanté ; au lieu de cela, il tombe sur une jeune femme qui joue à l’ahurie et dit revenir d’un week-end de jardinage. C’est la distance qui sépare Mankiewicz de Preminger, pourrait-on dire…

La beauté de Gene Tierney est, je l’ai dit, éclatante et suffit à donner la moyenne au film ; Clifton Webb interprète avec talent l’odieux Lydecker, qui écrit dans sa baignoire ses articles fielleux et le rend suffisamment intolérable, tout au moins au début du film (il s’éteint passablement ensuite) pour qu’on le déteste chaleureusement ; mais à peine ai-je reconnu l’alors tout jeune Vincent Price, plus tard acteur majuscule des films d’horreur de Roger Corman dans le très fade Shelby Carpenter, au personnage mal taillé et mal défini.

En résumé, un bon petit film de série qui bénéficie, à mes yeux, d’une aura peu compréhensible. Aura au demeurant bien forte, puisqu’on ne m’ôtera pas de l’idée que ce Qui a tué Laura Hunt ? aura inspiré au grand David Lynch l’interrogation majeure Qui a tué Laura Palmer ? de Twin peaks ; s’il était besoin de preuves, je note que le premier soupirant de Laura Hunt, l’homme qui a peint son portrait s’appelle Jacoby, comme un des personnages importants de la série. Je ne crois pas au hasard.

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