Je doute que l’histoire véridique d’Armin Meiwes, le Cannibale de Rotenburg, qui a inspiré ce film de Martin Weisz, fasse autant florès que celle, purement fictive, de notre vieil ami Hannibal Lecter, héros du Silence des agneaux et de ses suites. Et pourtant, elle est bien plus intéressante, psychologiquement parlant, et elle ne met pas en scène un seul prédateur, fût-il aussi génial et séduisant qu’Hannibal, mais bien plutôt un couple sidérant, tueur et tué (car on ne peut pas dire victime et bourreau, pas du tout), profondément complice et fascinant.
Le film est habile et intelligent, pesant, angoissant, terrifiant, dans une certaine mesure et il est, sous le couvert d’une fiction inutile (on a simplement changé les noms, et la condition sociale des protagonistes, beaucoup plus élevée que celle qui est présentée), assez conforme à l’histoire épouvantable d’Armin Meiwes, qui cherche un homme pour le manger et de Jürgen Brandes, qui ne rêve que d’être mangé.
Ces deux quadragénaires éduqués, intelligents, socialement intégrés, portaient en eux une épouvantable pulsion parallèle, satisfaite, d’un plein accord (la chose est incontestable) au mois de mai 2001, lorsque Meiwes après avoir eu un rapport sexuel avec Brandes, lui a coupé le pénis, qu’il a fait cuire et qu’ils ont ensuite mangé en commun (mais ce n’est pas très comestible, paraît-il, trop caoutchouteux), puis a tué et dépecé son partenaire, consommé ensuite, surgelé, pendant plusieurs mois.
Confession d’un cannibale tente d’expliquer le cheminement intellectuel stupéfiant qui conduit deux hommes à une rencontre qui les fascine tous les deux tant ils se rendent compte qu’ils se comprennent alors parfaitement et qu’ils se sont littéralement trouvés. Ce n’est pas mal fait du tout, malgré un artifice qui me semble inutile : une étudiante en psychologie criminelle, Katie Armstrong (Keri Russell), enquête sur ce fait divers qui la fascine et tente de comprendre le processus mental à la fois parfaitement cohérent et parfaitement révulsant qui pousse à un crime qui n’en est pas vraiment un. (En première instance, Meiwes ne fut condamné qu’à huit ans de prison, puisque sa victime était consentante). La jeune femme va visiter les lieux de l’horreur, en pousse les portes, entre graduellement dans la logique monstrueuse des deux hommes.
Il se peut que le réalisateur ait eu besoin, pour atteindre la durée congrue du long métrage, mais aussi pour insérer une présence féminine dans un monde où les seules femmes sont des mères suicidée (pour Brandes) ou abusive (pour Meiwes), en tout cas culpabilisantes. Leur influence est un peu trop invoquée comme l’explication de la sexualité déviante des deux hommes et sur leur comportement. Ce n’est pas la partie la plus convaincante du film : qui peut dire qu’une seule cause nourrit des effets aussi complexes ?
Mais la dernière partie du film, à peu près dénuée de scènes gore, ce qui est heureux, est très impressionnante : la rencontre sur le quai pluvieux d’une gare de celui qui est venu pour mourir et celui qui l’attend pour le tuer, l’émotion et la fébrilité des deux hommes, la difficulté à accomplir les gestes fatidiques sont très bien réalisés, dans une lumière glauque, une atmosphère salie, désespérante. Et le processus sacrificiel, presque dépourvu de tout effet sanguinolent et de tout pathétique, est très bien venu.
Les deux acteurs principaux (Thomas Kretschmann qui, sous le nom d’Olivier Hartwin interprète Meiwes et Thomas Huber qui sous le nom de Simon Grombeck incarne Brandes) sont remarquables et paraissent porter sur leurs épaules l’évidente fatalité de leur destinée ; l’image est crasseuse, terne, passablement écœurante. Ça tombe bien, l’histoire l’est aussi.
Et il paraît que Meiwes, en prison, est devenu végétarien.