Pour un coup d’essai, c’était un coup de maître et Pierre Granier-Deferre dont c’était quasiment l’entrée dans le cinéma (son premier long-métrage, Le garçon de l’ascenseur n’a pas laissé de traces !) réussissait un de ces films dont, presque cinquante ans après, on se souvient goulûment alors que, sortant dans des salles assez secondaires, ils n’étaient pas forcément promis aux feux éternels de la rampe.
Il est vrai que le réalisateur était richement aidé par un titre formidable (qui dira un jour le charme de ces titres euphoniques et rythmés, comme Razzia sur la chnouf ou Les femmes s’en balancent ?), par un climat général propice et par une réunion de fées autour de son berceau.
Les fées ? Peut-être guère vaporeuses, mais plutôt solidement charpentées : Alphonse Boudard à l’écriture initiale, Albert Simonin à l’adaptation, Michel Audiard aux dialogues. Et une couche de coryphées idéale : Lino Ventura en premier chef de chœur, Pierre Brasseur, Maurice Biraud, Georges Géret, Charles Aznavour en étoiles de seconde magnitude.
Et les sylphides, donc ! Françoise Rosay (dont le rôle confine drôlement à celui qu’elle tiendra dans Le cave se rebiffe – autre titre admirable ! -) et la charmante Irina Demick, qui emportera la mise, et dont on regrette qu’elle ne se soit pas plus manifestée dans le cinéma (elle est également excellente dans Le clan des Siciliens).
Donc, voilà un parfait film de samedi soir, plein de roublardise et de talent, constellé de ces pépites qui faisaient qu’on ne pouvait jamais demeurer indifférent à un film dialogué par Michel Audiard. Ainsi cet avertissement tout de grâce mutine lancé par Edmond (Aznavour) à la prostituée Léone (Annie Fratellini) qui a quelques réticences à se mettre à table et à donner quelques renseignements indispensables : J’te commence à coup de lattes et j’te finis au rasoir. C’était naturellement une époque où Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui vient de présenter à la presse éblouie le soixantième plan de lutte contre la violence faite aux femmes n’avait pas été conçue par ses heureux géniteurs…
Et puis c’est filmé avec pas mal d’idées qui ne faisaient pas forcément florès dans le cinéma de genre de l’époque : la constance de la voix off, qui donne de la substance à l’intrigue et l’idée très réussie de marquer l’avancement des années (celles qu’Alphonse – Ventura – passe en taule) par des extraits des Actualités Fox-Moviétone, précédés par le générique dont la locomotive fonçant vers le spectateur, les moteurs d’avion grondant, les belles gymnastes sautant d’une jambe sur l’autre, a enchanté nos jeunes années… Granier-Deferre est un réalisateur assez atypique qui, de La Horse à Noyade interdite a représenté une solide tradition du cinéma français, avec des films sans génie mais souvent diablement intéressants (L’Étoile du Nord ou Cours privé, par exemple).
Excellents acteurs, mais aussi musique jazzy très typique de cette moitié des Sixties. Un film très ancré dans son époque et pourtant aussi délicieux à voir aujourd’hui que naguère.