De battre mon cœur s’est arrêté

« Qui trop embrasse… »

À l’image de son titre, qui ne me séduit pas entièrement, je trouve que le film de Jacques Audiard est un peu trop hétéroclite, part dans un peu trop de directions pour être absolument satisfaisant.

Quelque chose m’a gêné lors de la découverte que je viens d’en faire : le trop grand nombre de séquences, qui hache un peu le déroulement harmonieux du récit et l’adjonction d’intrigues adventices qui m’ont semblé artificiellement greffées sur le sujet. Lors de l’entretien qu’il donne, dans un des suppléments du DVD, Audiard explique pourtant fort bien qu’ayant pris le parti de suivre le point de vue unique du personnage principal, Tom (Romain Duris), il était bien contraint, par la logique de son système, d’abandonner de temps à autre la linéarité de son propos pour montrer son héros dans toutes les autres orientations de sa vie. Voilà qui est intellectuellement satisfaisant mais assez peu convaincant à la vision.

01300000065995120740397712257_sTom est un assez sale type, qui n’a pas trente ans et qui n’a pas non plus la moindre chaleur humaine. Il nourrit une relation complexe avec son père (Niels Arestrup) qui, à la fois, le fascine et l’exaspère ; et on se dit, évidemment, que les relations de Jacques et de Michel Audiard devaient un peu être faites de ce bois-là. À la suite de son père, Tom fait dans l’immobilier véreux, escroque les vendeurs timorés, chasse à coup de masse les occupants illégaux, profite de la misère en achetant en sous-main des immeubles insalubres (et qu’il rend un peu pires en les sabotant ou en les inondant de rats).

Ce joli coco a eu une mère, qui était pianiste ; adolescent, il a touché d’assez près à la virtuosité, à une carrière de concertiste. Il ne joue plus qu’un peu, il écoute de l‘électro, au battement régulier et mécanique ; et il n’est pas un hasard non plus que, lorsqu’il voudra reprendre possession de la musique il travaille l’architecture parfaite et indifférente d’une toccata de Jean-Sébastien Bach : c’est cette musique-là qui convient seule à ce type binaire.

Car un jour, son cœur – voilà aussi un rythme binaire – s’est arrêté : fortuitement, en passant devant le Théâtre des Champs-Élysées, il a aperçu l’ancien agent artistique de sa mère disparue ; et l’envie lui vient, envahissante, folle, dévastatrice de jouer à nouveau.

lT01XjPaEeWzq1mu5KU8n5YtCgiTout cela est fort bon : cet entrelacs entre deux mondes on ne peut plus dissemblables, outre son extrême originalité dans le monde du cinéma français empuanti par les sujets de société, permet un grand écart aux aperçus subtils et intéressants. Mais Jacques Audiard entreprend de tisser un peu trop de liens simultanément et se trouve donc par la force des choses ligoté par leur expansion ; exception faite des séquences avec Emmanuelle Devos et de l’acrobatique partie de jambes en l’air avec la ravissante Mélanie Laurent, qui ne s’imposaient vraiment pas, on ne peut dire que les séquences qui ne concernent pas totalement la dialectique immobilier/musique soient inutiles ou mal venues : mais leur nombre et leur variété sont tels qu’on en est un peu saoulé. Et Audiard ne renonce pas à une redoutable facilité presque finale : celle de faire rencontrer tout à fait par hasard Tom et le gangster russe Minskov (Anton Yakovlev) qui a fait assassiner son père : voilà qui ne colle pas avec l’approche réaliste du film.

Cela étant, De battre mon cœur s’est arrêté est un film plus qu’estimable. Il bénéficie de la qualité de jeu de Romain Duris, qui ne quitte pas l’écran, et dont le visage à la fois bosselé et séduisant, convient à merveille à celui de Tom. Il y a bien longtemps qu’on sait que Niels Arestrup est un grand acteur et à peine moins qu’Aure Atika a une réelle présence.

Mais, comme dit le proverbe, Qui trop embrasse, mal étreint.

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