Histoires élégantes.
J’ai le goût des histoires élégantes contées par Éric Rohmer et de cette mise en scène d’aventures apparemment très simples conjuguée avec une grande économie de moyens, mais des dialogues très écrits. On y peut sentir certaines artificialités, certaines afféteries qui, lorsqu’on n’est pas sensible au charme, à mes yeux délicieusement désuet et raffiné de ce cinéma-là, agacent, ou même exaspèrent.
Pourtant, le cinéma de Rohmer, ce sont bien des histoires éternelles, dont la constance frappe, au milieu de la banalité du quotidien : incertitudes du cœur, ambiguïté des sentiments, interrogation sur les choix amoureux, déceptions et espérances entraînées par un rien, un regard ou une confidence…
Le beau mariage est un des films les plus narquois qui se puissent, les plus ironiques dans la série des Comédies et proverbes ; il porte en exergue un distique de La Fontaine : Quel esprit ne bat la campagne ? Qui ne fait château en Espagne ? et il est porté par des comédiennes parfaitement rohmeriennes.
Voilà-t-il pas que cette petite peste de Sabine (Béatrice Romand) au front buté, volontaire, agressive, ce charmant grillon au teint mat et au cheveu sombre, bagarreuse, têtue, agaçante, intelligente, insupportable, lasse de sa vie qui n’avance pas et lasse que son amant (Feodor Atkine) soit marié, décide, avec la rationalité des plus grandes bêtises, de se marier elle-même.
Un rien, un hasard, un souffle, une rencontre impromptue chez sa pépiante amie Clarisse (Arielle Dombasle, qui pouvait être délicieuse lorsqu’elle ne se prenait pas encore pour l’épouse du grand philosophe autoproclamé Bernard-Henri Lévy) et elle entoure Edmond (André Dussollier), brillant jeune avocat parisien de toute sa détermination à visée conjugale.
Voilà tout l’argument qui, on le voit bien, ne serait pas grand chose si ce jeu de traque n’était pas une délicieuse étude de mœurs et un enchantement de dialogues ciselés, précieux, subtils. Le spectateur voit, bien sûr, d’emblée que le séduisant Edmond, trop occupé par son Cabinet et, lorsqu’il n’est pas plongé dans le Code civil, par une vie très libre, ne veut pas pousser bien loin un flirt, au demeurant bien sage, avec une petite fille brûlante et acharnée. Mais peut-on, quand on n’est pas de grand cynisme ou de grande cruauté, ne pas céder à ce que Montherlant a appelé, dans sa série des Jeunes filles, le Démon du bien, qui pousse à illusionner trop longtemps l’Autre de peur de lui faire du mal, et de lui en faire, d’un seul coup, bien davantage ?
Mais comme Rohmer n’est pas un tragique, mais un sceptique à la fois tendre et amer, ça ne se termine pas par un drame et à peine par une blessure d’amour-propre. Blessure qui apprendra peut-être à cette petite pécore insupportable de Sabine, qui veut surtout se marier pour faire éclater aux yeux de tous son pouvoir sur les hommes, à quoi devraient vraiment rêver les jeunes filles…