La Marie du Port

Désert sans solitude.

Après revisionnage cette après-midi, mon impression sur ce film mésestimé de Carné s’améliore encore et je suis pas loin de le mettre aux premiers rangs (avec Thérèse Raquin) de sa carrière d’après-guerre ; Prévert n’est plus là, même s’il a, paraît-il rédigé une partie des dialogues, mais Kosma l’est encore, et la musique est superbe. L’intrigue, de Simenon, toujours subtile et prenante et le film est presque absolument fidèle au roman. De toute façon, à quelques exceptions prés, le Liégeois est toujours moins trahi lorsque est adapté un de ses livres sans intrigue criminelle plutôt que dans ses Maigret ou ses policiers, qui tournent facilement à la simple résolution de l’énigme, ce qui n’est pas son propos et son génie.

Le père Le Flem, veuf et père de cinq enfants, vient de mourir. Sa fille aînée, Odile (Blanchette Brunoy) est la maîtresse d’Henri Châtelard (Jean Gabin) opulent cafetier de Cherbourg. La deuxième, Marie (Nicole Courcel) est à l’âge où les filles s’émancipent et a pour petit ami le jeune coiffeur Marcel (Claude Romain), fils du père Viaud (Julien Carette), ancien marin alcoolique.

imagesLes scènes initiales de La Marie du Port sont magnifiques ; on ressent très fort en suivant l’enterrement et en visitant les rues de Port-en-Bessin la pertinence du mot de Mauriac : Une ville de province, c’est un désert sans solitude. Et puis des images du passé : les commères qui cancanent devant la maison mortuaire, le prêtre et les enfants de chœur en noir avec les surplis blancs qui psalmodient l’office des morts, la procession dans les rues où les rares passants se découvrent pour saluer… Et encore la répartition des orphelins entre les oncles et tantes qui se disputent ceux qui sont les plus grands et les plus forts parce qu’ils pourront gagner leur pain et aider aux travaux de la ferme : il n’y a pas beaucoup de différence entre le monde minier de Germinal, en 1860 et celui de la Normandie paysanne près d’un siècle plus tard.

Châtelard/Gabin est un mâle dominant, jouisseur, qui n’a pas l’habitude que des femmes lui résistent. Odile/Blanchette Brunoy est une maîtresse décorative, mais molle, qui rêve de quitter les grisailles de la Manche pour l’éclat de Paris ; elle s’ennuie, traîne au lit, ferme les yeux sur les passades de son amant qui s’est d’ailleurs lassé d’elle. Et même quand celui-ci commencera à tourner les yeux vers sa jeune sœur Marie, elle n’y verra pas une trahison, simplement un ennui.

La distribution du film est impeccable ; on redécouvre Blanchette Brunoy (que Gabin retrouvera quelques années plus tard, dans Le baron de l’écluse dans un rôle plus traditionnel) et le charme vénéneux de Nicole Courcel. Seul Carette en fait vraiment un peu trop.

Et puis il y a des tas de ces seconds rôles si importants dans le cinéma français de jadis : un simple regard en coin de Gabrielle Fontan suffit à prouver son grand talent, Louis Seigner, Olivier Hussenot, René Blancard, Jean Clarieux donnent de la couleur et de la verve et, pour une fois, Jane Marken n’interprète pas une mégère, mais une brave femme. Le fait est assez rare pour être signalé !

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