Lolita

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Trahison de Nabokov ? Et alors ?

Il paraît que Nabokov qui avait eu les pires difficultés du monde à faire publier son roman scandaleux, beaucoup plus clairement pédophile que ne l’est le film, avait été très alléché par le projet d’adaptation cinématographique que lui proposait Kubrick et fut même engagé comme consultant. Kubrick n’était pourtant pas encore alors une étoile de première magnitude, même si Les sentiers de la gloire et le succès de Spartacus lui donnaient une renommée déjà intéressante. Mais rien à voir à ce qu’il advint après 2001 où chacune de ses réalisations fut attendue avec fébrilité par la masse de plus en plus grande de ses admirateurs passionnés (au rang de qui je me classe, si vous ne l’aviez deviné !).

Donc Nabokov était à la fois sceptique et intrigué par le projet qui lui était présenté ; il n’avait sans doute pas tort. Parce qu’il est douteux qu’une création qui passait par le cerveau enchanté de Kubrick soit jamais sortie indemne de la confrontation avec cet immense créateur qui, pourtant, avait besoin d’une base conçue par un autre que lui pour donner à son génie son rythme et sa capacité d’expansion.

A ma courte honte, j’avoue n’avoir lu – mais après avoir vu le film, et à cause du film – que le roman de BurgessOrange mécanique – et la nouvelle de Schnitzler Traumnovelle qui a inspiré Eyes wide shut ; l’un et l’autre récit se retrouvent, non pas trahis, mais très interprétés…

Mais mon ignorance est totale des oeuvres de Howard Fast, Thackeray et Stephen King qui ont respectivement inspiré Spartacus, Barry Lyndon et Shining… Il paraît qu’il y aurait à redire, en matière de fidélité, et que King était furieux… mais qu’importe ?

Et si j’ai lu jadis Nabokov, sûrement trop jeune, parce que c’est un écrivain majeur, je crois bien qu’il ne me reste guère de son récit que des souvenirs tenaces mais flous, alors que, d’un autre côté, il me serait bien difficile, si je le relisais, de ne pas placer sur les noms d’Humbert Humbert, Charlotte Haze, Clare Quilty et Lolita les visages de James Mason, Shelley Winters, Peter Sellers et Sue Lyon

Seulement, c’est assez sensiblement différent : alors qu’Humbert Humbert est, dans le livre, un être subtil et pervers, un Européen raffiné, dont la pédophilie pourrait être due à un sens de l’esthétique poussé à l’extrême, le personnage du film est un homme sérieux qui s’englue dans une passion imbécile mais tellement compréhensible pour une Lolita crispante, ravissante et tentante.

Dans le livre, Lolita a douze ans ; dans le film, Sue Lyon semble en avoir au moins seize (et, née en 1946, avait effectivement cet âge) et apparaît d’évidence comme une allumeuse, ou, si l’on préfère, une ingénue libertine (à preuve la scène où elle fait du houla-hop, geste clairement sexuel devant Humbert) ; de ce fait, l’obsession charnelle d’Humbert, qui le rend d’abord répugnant de cynisme (avec Charlotte, la mère de Lolita) et dégoulinant d’avidité et de veulerie (devant Lolita) s’explique davantage comme une de ces passions fulgurantes et dégradantes dont l’histoire littéraire est pleine que comme une perversion clinique revendiquée, ce qui est bien pourtant ce que décrit Nabokov.

Puis le rôle de Clare Quilty, sublimement joué par un Peter Sellers – qui est à mon sens encore meilleur là que dans Dr. Folamour , parce que son rôle est encore plus décadent et moins excessif -, le rôle de Quilty, donc, est considérablement accentué par Kubrick, qui en fait le démiurge, l’organisateur infernal des débauches et des dérives, le manipulateur génial qu’Humbert retrouvera partout sur son chemin dès qu’il s’agira de le berner. Entre autres scènes extraordinaires qui témoignent du détachement de Quilty, de sa désinvolture et de son absolu goût du jeu, il y a son attitude au bal de Ramsdale, moment où Quilty apparaît pour la première fois : il y a un jeu de scène, une danse avec sa compagne Vivian Darkbloom, qui ressemble à Cruella (Marianne Stone) qui montre absolument qui dirige les choses et qui est maître du terrain.

Dès lors, l’enfouissement d’Humbert dans les faux-semblants et les supercheries ne connaîtra plus de limites jusqu’aux scènes finales, celle où il retrouve une Lolita enceinte, mariée avec un garçon sourd qui ignore tout de ce qui s’est passé – elle revient, finalement à une sorte de normalité un peu décalée – et celle qui, à la fois ouvre et ferme le film, de l’assassinat de Quilty.

Je ne sais si l’on gagnerait à davantage montrer – ou démontrer – la passion charnelle qui anime Humbert et le ravage ; déjà l’étreinte passionnée de Charlotte devant la photo de Lolita est d’une rare clarté. Le puritain Kubrick (Quoi, vous osez écrire cela après Eyes wide shut ? J’écris cela à cause, notamment d’Eyes wide shut !), le puritain Kubrick met en scène admirablement une déchéance perverse autant que fade…

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