Suintant de désespoir et de misère
C’est un bien étrange mystère, et un des grands miracles du cinéma que pouvoir susciter l’empathie, la tendresse et la fraternité pour une histoire et des personnages dont on jurerait a priori qu’on les regarderait à peine dans la vie prétendue réelle et de vivre jusqu’au bout une histoire improbable, en tout cas bien loin de toutes les virtualités d’identification qui rendent les sympathies si aisées lorsqu’on peut se glisser soi-même dans les oripeaux mis en scène…
Qu’est-ce que la vie de Joe Buck (Jon Voight) et celle de Rizzo (Dustin Hoffman) a à voir avec ma vie à moi, notre vie à nous ? Qu’avons-nous de commun avec un bellâtre assez veule et très con du Middle-West ? Qu’est-ce qui peut nous rapprocher d’un cloporte du Bronx, pas très net, et sûrement minable et dangereux ? Qu’est ce qui nous rapproche d’eux, nous fait épouser leur désespoir et leurs espérances ?
Macadam cow-boy est un film d’une humanité bouleversante, qui ne tient pas un discours humaniste, ni rebelle ; il n’y a pas de revendication révolutionnaire, avec attaque de banque et discours de haine sociale, pas davantage de parcours irénique et rédempteur, qui verrait les deux camarades de misère se poser au soleil et créer leur petite entreprise. C’est parce qu’ils vivent toutes les saletés banales de l’existence que Joe et Rizzo nous sont si proches et nous ancrent dans leur réalité.
Désespoir de la mort qui survient à l’aube, espérance du soleil levant sur une terre nouvelle ; ce film nocturne et poignant est de bout en bout un questionnement.
26 avril 2007
Revu hier et toujours autant apprécié. J’admets bien volontiers que d’autres films, depuis lors, se sont emparés du sujet de la misère affective, sociale, mentale,sexuelle de notre pauvre humanité, que d’autres aussi ont exploré les terres bizarres de la rencontre de deux paumés que tout paraît opposer et que, finalement, tout rassemble.
N’empêche que Macadam Cowboy est un film désespérant et merveilleux.
Grâce à la réelle lenteur de sa mise en place (la longueur des voyages en car) ; grâce à la sublime déchirante musique de John Barry, (au moins deux thèmes qui ont eu l’un et l’autre un immense succès) ; grâce au talent merveilleux des acteurs, Jon Voight et Dustin Hoffman qui occupent la presque totalité de l’espace filmique ; grâce à la photo salie, terne, mesquine, parcimonieuse ; grâce à des scènes pathétiques qu’on n’oublie pas – le pauvre triste adolescent homo – qui ressemble un peu à Woody Allen, d’ailleurs – paniqué par son audace et trop tenaillé par son désir pour y résister, la vieille belle ménopausée , qui éclate de rage lorsqu’elle se rend compte que Joe/Voight ne l’a sautée que pour l’argent, la riche Shirley (Brenda Vaccaro), qui se paye un étalon pour oublier sa propre vacuité.
Et grâce aussi, presque surtout pour le dernier quart d’heure sublime du voyage en autobus vers la Terre promise de Floride où Rizzo/Hoffman fermera les yeux sur son dernier rêve.
Un scénario simple, sans doute, peu de péripéties. L’impression, pourtant, d’avoir touché le fin fond de la tristesse humaine.
8 juillet 2022