La puissance de l’Éternel.
Printemps 58 – car c’est seulement cette année là que le film est sorti en France – et toute la ville se presse, s’écrase, se dispute les fauteuils d’un film qui dure près de quatre heures. Puisque l’on a été sage, les parents ont pris une place de balcon où, dominant la salle, on se sent le roi des rois. Les ouvreuses sont passées juste avant le début du spectacle et on a eu droit à un esquimau Gervais. Quel bonheur !
Cecil B. DeMille apparaît sur l’écran, à l’issue de l’Ouverture musicale et prend les spectateurs à témoin qu’ils vont voir un spectacle formidable et qu’ils sont bien raison d’être là.
Couleurs vives, exotisme, magnificence des décors, attitudes nobles et farouches des protagonistes, regard impérieux de Ramsès (Yul Brynner), regard sage, bienveillant mais plein d’autorité de Moïse sauvé-des-eaux (Charlton Heston) ; regard coquin et lourd de sous-entendus de Nefertari (Anne Baxter) ; ici et là regards extatiques de vieillards amaigris qui souffrent et meurent plein d’espérances eschatologiques.
Je me demande encore comment notre enfance, si sage qu’elle pouvait être, et exaltée par le récit magnifique de l’Exode biblique, a pu supporter toute la première partie du film, avant l’entracte, c’est-à-dire deux heures pleines, où seulement se développe avec lourdeur la jalousie entre Ramsès et Moïse, sous les yeux fripons de Nefertari et où les scènes intimes et verbeuses foisonnent, se multiplient, s’enchâssent les unes aux autres, tirent à la ligne sans raison. De temps en temps, et bien trop rarement, un morceau de bravoure, la vieille femme qui va être happée par un bloc de pierre, l’édification de l’obélisque, quelques amples mouvements de foule. À la fin, le buisson ardent, que je croyais plus spectaculaire et Moïse qui revient, transfiguré, de sa rencontre avec Yahvé.
La seconde partie est plus nerveuse et pas seulement parce qu’elle est moins longue : les événements y sont plus concentrés et plus spectaculaires, de la survenue des malédictions divines au passage de la Mer rouge ; notons tout de même que DeMille n’exploite pas la riche variété des dix plaies fondues sur l’Égypte, se contentant de montrer les eaux changées en sang et la grêle et faisant seulement entendre les lamentations des mères dont le premier-né vient d’être frappé. J’ajoute qu’il y a un joli plan impressionnant où la nuée mortelle, d’un vert vif et profond tout à la fois, surgit du ciel dans un cadre bordé de rouge vermillon. (Et notons aussi que si l’on veut avoir une vision exhaustive de ces horreurs, il faut regarder L’abominable Dr Phibes, où le criminel châtie ses victimes en s’inspirant de l’Écriture).
Quelques bien beaux passages très colorés, conduits avec une grande science des mouvements de foule, le départ de la foule des Hébreux vers le Sinaï, en un immense caravansérail, leur orgie autour du veau d’or… Et, au dessus de tout, et d’une réelle force exaltante, Moïse dressé devant la Mer rouge, sur le fond noir d’un tumulte de nuées L’Éternel livrera bataille pour nous ! Contemplez Sa puissance ! avant que les eaux furieuses n’ouvrent le passage…
Bien sûr c’est long, lourd, bavard, simpliste trop souvent… Mais, les scories dégagées, quel film !