Comment sortir de l’enfance ?
Comme le sujet de la prostitution juvénile me paraissait un des pont-aux-ânes de notre époque, et qu’il m’écœure passablement en soi, j’ai mis quelque réticence à regarder Jeune et jolie. Le film, qui eut quelque succès de scandale à Cannes en 2013, est d’un François Ozon sur qui je ne me décide pas à avoir une opinion tranchée, sa sensibilité particulière et son regard sur les femmes me laissant toujours une certaine impression de malaise ; en fait, je ne le trouve pas très net.
Pas très net, mais toujours intéressant et quelquefois très talentueux. Comme tout le monde j’ai beaucoup aimé Sous le sable, mais, au contraire de beaucoup, pareillement 8 femmes et Swimming pool… Et, l’autre soir, Jeune et jolie, qui est une histoire en fait très froide malgré ses péripéties et l’aversion qu’on peut ressentir pour les saletés voulues par de vieux types friqués et le consentement que donnent à leurs fantasmes de très jeunes filles indifférentes.
C’est bien indifférentes qui est le mot ; toute comparaison avec la force vénéneuse de Belle de jour de Luis Bunuel où Catherine Deneuve éblouissait d’ambiguïté serait mal venue. Séverine dans Belle de jour essayait d’abîmer, de maculer sa vie trop sage, trop lisse ; Isabelle (Marine Vacth, parfaite) se prostitue un peu par sensualité, beaucoup pour l’argent mais davantage encore par ennui, pour passer le cap difficile qui sépare l’adolescence de l’âge adulte.
Ce n’est évidemment pas si simple que ça, et François Ozon marque très finement les facettes différentes d’une jeune fille très jolie, qui vit dans un milieu de classe moyenne supérieure, dans une famille recomposée, qui s’entend plutôt bien avec sa mère (Géraldine Pailhas) et son beau-père (Frédéric Pierrot), a une grande complicité avec son petit frère (Fantin Ravat), est élève sans histoire du lycée Henri IV, a des copines et des copains… Rien de vraiment banal, mais vraiment rien d’extraordinaire.
Si ce n’est la fréquentation très assidue des grands hôtels de chaîne modernes froids, du type Hilton ou Sofitel, où des types qu’elle a ferrés sur internet l’attendent dans la pénombre pour des passes à 300 € ; de ce que montre le film, ces types sont plutôt encore séduisants, en tout cas très convenables, mais la flemme de chercher, l’envie de chair très fraîche et – naturellement – le goût vicelard de payer, c’est-à-dire, d’une certaine façon, de se libérer de toute obligation d’empathie avec le corps qu’on baise, expliquent leur manière de faire.
Je regrette qu’Ozon ne se soit pas refusé la facilité mélodramatique de la crise cardiaque qui zigouille Georges (Johan Leysen), client régulier d’Isabelle, en plein coït. Cette mort permet à la police, après enquête et exploitation de la vidéo-protection de l’hôtel, de retrouver la jeune fille et d’apprendre la situation à sa mère, qui reçoit évidemment une enclume sur la tête. Il me semble que le réalisateur aurait pu trouver moins romanesque et s’éviter aussi (et ainsi) la confrontation finale avec la femme du mort (Charlotte Rampling) qui est bien niaise…
L’innocence perdue avant son terme peut-elle renaître dans une histoire d’amour ? Ozon en doute et je ne vois pas comment on pourrait ne pas le suivre. Que deviendra Isabelle, touchée par la gangrène excitante du fric, du sexe et des émotions des rencontres multiples ? On doute que ce soit rien de calme… Mais ce n’est peut-être pas ce que notre époque cherche, le calme…