L’adolescence éternelle.
Tout de même, le cinéma de Robert Enrico est assez particulier, maladroit, mais très attachant, comportant des balourdises souvent risibles, des dialogues mal fichus, des tas d’invraisemblances et de naïvetés, mais finissant toujours par intéresser et à retenir l’attention. Il me semble que Ho ! est plein de ces caractéristiques, agace et irrite plutôt au début mais laisse in fine une impression agréable, qui n’est pas seulement due au talent et aux thèmes musicaux de François de Roubaix.
Donc des tas d’idioties crispantes : l’accident automobile du pré-générique (effet spécial risible et je ne suis pourtant pas très exigeant là-dessus) ; le manège des frères Schwartz (Tony Taffin et Stéphane Fey) lors de la répartition du butin, la main droite continuellement dans la poche poitrine de leur veston, c’est-à-dire sur leur calibre ; la mort accidentelle du gangster Canter (Sydney Chaplin), tué par la chute sur le trottoir de son revolver ; la rupture théâtrale de Bénédicte (Joanna Shimkus) avec François Holin, dit Ho (Jean-Paul Belmondo) ; et le traquenard qui permet de presque interpeller François, collectionneur assidu, qui a lu dans le journal que vient d’être édité par un grand faiseur une cravate en fibre de coco !
Rien que ça et c’est déjà beaucoup ; le film n’est pas non plus très équilibré, très bien rythmé ; l’épisode de la prison, où Ho se transforme graduellement en sosie d’un clochard compagnon de cellule qui doit être rapidement relâché, est réussi, mais tout de même bien long et un peu tiré par les cheveux. Cela dit, la description de la cellule, de sa crasse, de sa promiscuité (le détenu qui se lève la nuit et dérange tout le monde pour aller pisser), de la violence des prisonniers, de l’arrogance des matons me semble très réussie.
Ce qui va déjà mieux, c’est le filmage du monde et du Paris de 1968; une époque où il y avait des contre-allées sur les Champs-Élysées, des billets de 100 F. à l’effigie de Pierre Corneille (et où, d’ailleurs, on allait chercher ces billets au guichet des banques), où on pouvait laisser le moteur tourner quand on allait acheter des cigarettes (et on avait bien tort, puisque des voleurs en profitaient ; mais enfin, on avait encore confiance) ; le temps où on se tuait encore en disputant une course automobile (et, dût mon propos choquer, je trouve que la Formule 1 a perdu beaucoup de son intérêt depuis lors) ; le temps où on pouvait lire le très médiocre quotidien Paris-Jour (et un paquet d’autres, France-soir, L’aurore, Combat…) ; le temps où l’on était tout fier d’avoir, sur sa voiture, une antenne radio rétractable qu’on faisait monter et descendre grâce à un bouton situé sur le tableau de bord…
Et tant qu’on y est, d’ailleurs, ce goût, cette fascination de ce qu’on appelait le gadget, qu’on trouvait aussi bien dans les Drugstores (le présentoir à cravates rotatif électrique dont use Ho, l’énorme briquet Zippo) que chez soi (l’appartement de Bénédicte, son fauteuil coque qui pivote et qui, pivotant donc, vous jette sur un lit recouvert de fausse fourrure… il faudrait d’ailleurs que soit réédité Modesty Blaise de Joseph Losey avec Monica Vitti qui est, il me semble, très typique de ces années-gadget).
Mais, ces babioles dites, le meilleur de Ho ! est, il me semble dans le rôle à contre-emploi de Jean-Paul Belmondo et dans l’intelligente orientation du récit vers un personnage assez falot, immature, soumis qui, par la suite d’un concours de circonstance et d’une suite de hasards heureux se voit placé dans un rôle dont il rêvait, celui d’un truand important, présenté par la Presse comme un individu dangereux et qui connaîtra son heure de gloire lors de son arrestation par des forces de police considérables, ses ennemis, les Schwartz, et sa maîtresse tous morts, ce qui ajoute une voluptueuse touche tragique à la légende qu’il se forge ainsi… N’être pas pris au sérieux par les vrais bandits et finir sur un tel pavois, quelle merveille !