Martin Roumagnac

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Inutile grandiloquence

Martin Roumagnac, pour les amateurs de Gabin, c’est un film plein de singularités : c’est la premier film de l’acteur à son retour en France, après son exil aux États-Unis et son très beau comportement de combattant pendant la guerre ; Remorques, de Grémillon est bien sorti en 1941, mais avait été réalisé avant l’Invasion ; en fait, mis à part deux films qui n’ont guère laissé de traces tournés en Amérique, le public est encore branché sur les personnages de prolos au grand cœur persécutés par la Vie et – surtout ! – par les garces.

D’ailleurs, dans Martin Roumagnac, la garce est de qualité : c’est la maîtresse du Gabin de l’époque, rien moins que la grande Marlène Dietrich !

L’excellent Pierre Véry, l’homme des Disparus de Saint-Agil et de Goupi mains rouges est aux manettes de l’adaptation et des dialogues. L’honnête artisan Georges Lacombe à la réalisation. Tout est donc réuni pour faire un bon film, à défaut d’un chef-d’œuvre.

Et ce n’est pas le cas. Le temps a passé, 1946 n’est pas 1939 et la Guerre a fait vieillir les physionomies ; par exemple Margo Lion, si charmante et gouailleuse dix ans auparavant dans L’Alibi de Pierre Chenal est désormais une femme mûre, presque sans âge ; surtout les personnages s’usent et on a sans doute un peu marre des coups de sang d’un Gabin éternel persécuté de la vie ; il va falloir qu’il recentre son jeu sur d’autres facettes, ce qu’il fera graduellement jusqu’au superbe nouveau départ de Touchez pas au grisbi (et bien qu’il ait encore, au moins par deux fois interprété un brave type pourchassé par la Fatalité – dans le remarquable Au-delà des grilles de René Clément et la moins réussie Vierge du Rhin qui est, je crois, sa première collaboration avec Gilles Grangier).

Mais on dirait presque que Martin Roumagnac réunit presque tous les exercices obligés du genre : un homme à qui tout réussit, qui, par son travail, son intelligence, son honnêteté, est en train de devenir un petit patron, dont l’affaire va se développer, qui est apprécié par toutes et tous et qui, pour les beaux yeux d’une femme qui n’est pas de son monde, comme dans Pépé le Moko, va saccager tout le paysage de sa vie (la ressemblance avec Pépé le Moko va jusqu’à la conclusion, d’ailleurs : Roumagnac, comme Pépé, sa vie fichue, se livre volontairement aux balles d’un vengeur).

Pourtant ce qui fonctionnait admirablement dans La belle équipe, dans Gueule d’amour, dans Quai des brumes, dans Le jour se lève, tous ces ressorts à quoi on se laissait prendre, tout cela ne marche plus, ou plus guère. L’intrigue est inutilement compliquée et grandiloquente, et surtout, s’immergeant dans la vie d’une calme petite ville de province, devient, traitée au premier degré, parfaitement invraisemblable.

C’est dommage, parce qu’il y a des scènes, des péripéties, des personnages bien typés : mais c’est un peu comme si on voulait insérer un grand drame fatal, sans issue, ni sourire au milieu du petit monde de Pagnol, par exemple : à un moment donné, le décalage s’impose et fait basculer la vraisemblance.

A noter les compositions intéressantes de Jean d’Yd, à l’œil fou, d’une grande veulerie (c’est le mauvais Amédée Frossin de L’éternel retour) et surtout de Marcel Herrand, l’immortel Lacenaire des Enfants du Paradis


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