Le cinéma de Robert Guédiguian est celui de la désillusion, du désenchantement devant la Révolution qu’on n’a pas faite, et peut-être, de plus en plus, et au fur et à mesure que le temps passe, devant l’impossibilité de la Révolution. Tout cela avec une intense nostalgie (il ne faut d’ailleurs pas s’étonner qu’il ait apporté, lors de la dernière présidentielle, son soutien au farfelu et irrésistible M. Mélanchon).
À la vie, à la mort marque un nouveau pas dans le dégrisement des utopies. Encore quelques scories amères (les méchants bourgeois qui chassent les employés du logement qu’ils occupaient pour pouvoir installer une piscine, les mains baladeuses de l’employeur – Alain Lenglet – sur les fesses de l’employée, Marisol – Ariane Ascaride -), mais aussi le constat triste que la solidarité de la famille et des amis est le refuge qui protège le plus.
Tout cela n’est pas très gai. Et le film commence sans gaieté dans la lumière violette et dorée de l’extrême fin du jour au milieu d’une de ces zones commerciales géantes qui sont une des plaies de notre pays. Puis paysage de pavillons très modestes, ou plutôt de bicoques, surmontées de lignes électriques. La mer, sans doute, et le cadre magnifique de Marseille, mais souillés par la perspective des terrains vagues, des décharges, des palissades, des usines désaffectées. Au bout d’une ruelle, un néon signale Le perroquet bleu, minable petit cabaret où la vieillissante Josefa (Pascale Roberts) continue à se déshabiller en musique devant un public d’anciens ouvriers fatigués pour faire vivre sa petite affaire et son compagnon au chômage José (Gérard Meylan). Au chômage comme son copain Jaco (Jean-Pierre Darroussin) et son beau-frère Patrick (Jacques Gamblin) qui vit avec Marisol (Ariane Ascaride).
Tout ce petit monde va se retrouver à cohabiter, à survivre, avec le père de José et de Marisol, Carlossa (Jacques Boudet), paralysé, rouge espagnol exilé, et honnête homme (les trois caractéristiques ne sont pas antinomiques). Viennent se greffer sur ce phalanstère Vénus, jeune droguée (Laëtitia Pesenti) et Farid, enfant des rues (Farid Ziane).
On survit, de petits boulots et de pêche aux oursins. Marisol, qui désire passionnément un enfant et qui sait que son mari est stérile, demande à Jaco, que sa femme a quitté, de faire ce bébé. Puisqu’elle est enceinte, désormais, il va falloir assurer la nouvelle vie… José vend sa vieille Mercédès, qu’il entretenait jalousement, la fraîche Vénus va remplacer Josefa au strip-tease, et Patrick va volontairement se noyer pour que Marisol puisse toucher l’assurance-vie qu’ils avaient souscrite.
C’est un peu outré, raconté comme ça, un peu romanesque ou mélodramatique, mais ça passe extrêmement bien à l’écran, parce que Guédiguian et ses acteurs mettent beaucoup d’amour et de chaleur dans la description quotidienne, minuscule, émouvante de ce cheminement. Particulièrement la séquence où tout le petit monde découvre que Marisol porte enfin l’enfant dont elle rêvait, qu’elle suppliait Notre-Dame de la Garde, la Bonne Mère de lui accorder, séquence très maîtrisée, très bien construite, très bien écrite…
C’est un très joli film triste, À la vie, à la mort, à quoi, en faisant la fine bouche, on pourrait seulement reprocher un peu d’idéalisme. Ce qui fait du bien, de temps à autre.