Sur le caractère implacable de l’action des services secrets d’un pays, j’avais été beaucoup plus convaincu par Les patriotes d’Éric Rochant (1994) qui décrivait d’une façon très convaincante et attrayante toute une suite d’interventions conduites par le Mossad israélien. Le film n’était pas débarrassé de la pesanteur d’une histoire sentimentale (entre Yvan Attal et Sandrine Kiberlain), mais présentait intelligemment les montages compliqués, les manipulations tortueuses, les exécutions sans états d’âme qui sont le lot (sans doute ! après tout qu’est-ce que j’en sais ?) des espions, contre-espions et agents secrets de tous les pays du monde.
Le film de Frédéric Schoendoerffer (dont j’ai bien apprécié l’œuvre suivante, Truands, mais qui depuis lors semble avoir perdu la main) est de la même farine : des types qui obéissent au doigt et à l’œil à des ordres venus d’en haut, qui ne saisissent pas forcément (ou forcément pas) la raison de ce qu’on leur demande, qui est pourtant souvent grave, dramatique même, mais qui vivent une existence exaltante, mouvementée, pleine de risques, de violence, de voyages. Le meilleur d’Agents secrets, c’est sans doute cette sorte d’aveu du colonel Grasset (André Dussolier), aveu du type C’est un métier effroyable, mais est-ce que je pourrais en voir un autre (tant c’est merveilleux !). Une vie de faux-semblants, sans rapport avec la vie courante, une vie où les risques pris, qui sont immenses, donnent des résultats qu’on peut juger soit minuscules, soit invisibles à l’œil nu, mais allez savoir… peut-être considérables.
Schoendoerffer a sans doute mélangé sans trop de finesse trop d’ingrédients dans son coquetèle : il part sur une histoire qui est évidemment un décalque de l’aventure véridique des faux époux Turenge, chargés de couler le Rainbow warrior, de l’organisation écologiste Greenpeace (au fait, qui finance ces gens-là ?) qui prétendait empêcher la France de procéder à ses essais nucléaires. Dans le film, il s’agit de faire sauter le bateau d’un oligarque russe chargé d’armes destinées à je ne sais quelle rébellion angolaise (on voit par là qu’au rebours de son père, Frédéric Schoendoerffer marque une certaine soumission au politiquement correct).
L’opération réussit mais une de ses principales exécutrices, Lisa (Monica Bellucci), par ailleurs amante de Brisseau (Vincent Cassel), autre pièce maîtresse du pétardage, souhaite quitter les services ; d’où un montage compliqué pour qu’elle soit enfermée dans la prison où est incarcérée une des principales complices du trafic d’armes, qu’elle est chargée d’assassiner.On le voit, ça ne mégote pas sur la violence et le cynisme ; ajoutons-y un zeste de trouble avec une tueuse professionnelle espagnole lesbienne (Najwa Nimri) avec qui Brisseau/Cassel se livre à un duel digne de Kill Bill. On pourrait d’ailleurs trouver d’autres références au film de Schoendoerffer, par exemple Mission impossible… parce que s’extirper intact, comme le fait Brisseau, d’une voiture qui vient de faire quatre ou cinq tonneaux à toute allure sur l’autoroute, alors qu’on était assis, à l’arrière, entre deux tueurs, ça n’existe qu’à Hollywood…
Agents secrets n’est pas un film désagréable, ça se laisse voir (presque) sans ennui. Cela étant le fils n’est pas le père. Et ça commençait déjà à se voir.