Le pays de l’Étoile solitaire.
Les États-Unis (dits d’Amérique) ont toujours eu le chic (l’habileté, la roublardise) d’imposer au monde entier leur légende historique et d’en emplir les cerveaux naïfs jusqu’à imposer une vision univoque qui devient alors une vérité de foi révérée. Ainsi la baliverne qu’ils ont été les vainqueurs exclusifs du National-socialisme alors que c’est l’Union soviétique qui a porté les coups les plus durs à l’Allemagne hitlérienne. Ainsi les billevesées sur la défense du Monde libre en Corée, en Indochine ou à Cuba alors qu’ils ont à peu près à eux seuls salopé tout l’équilibre mondial et méprisé l’identité des nations. Ce qui leur retombe régulièrement sur le nez, comme on le voit aujourd’hui en Afghanistan, jadis au Vietnam.
Quel rapport ce premier paragraphe a-t-il avec la geste d’Alamo, pourra-t-on me dire ? Un film qui a exalté mon adolescence et donné une si belle image du patriotisme sans calcul, des vertus guerrières, de l’amitié virile, du courage et du sacrifice ?
Eh bien tout simplement le rapport c’est que dans la véritable histoire, ce ne sont pas les Mexicains qui étaient les vilains, mais plutôt (au moins tout autant, si on est indulgent) les colons. Venus de tous les États de l’Union, s’installant sur ces immenses terres vides (les autochtones en ayant été soigneusement éliminés), ils s’imposaient peu à peu sur le territoire et refusaient d’accepter les lois mexicaines qui leur déplaisaient ; par exemple l’abolition de l’esclavage, décidée au Mexique en 1829. Donc, à l’époque, rien n’est si noir, ni si blanc. Et la révolte des colons anglo-saxons ne s’explique que parce que le général Santa-Anna a décidé, en 1835, de revenir sur la Constitution de 1824 qui accordait une large autonomie aux États fédérés et de centraliser le pays. Voilà qui gêne les profits et les trafics d’un type comme David Bowie (dans le film Richard Widmark), riche propriétaire esclavagiste.
Cela étant posé et les prémisses admises que nous avons affaire à des héros immaculés opposés à des brutes obtuses, le film de John Wayne, qui y tient d’ailleurs la part du lion, est une très agréable et forte saga qui n’a le défaut que d’être un peu longue. Plus de 3 heures et seulement la dernière demi-heure consacrée au combat et à la prise du fortin, admirablement filmée au demeurant. Mais après avoir écrit cela, je me dis que tout ce qui précède ne manque pas du tout d’intérêt ni de pertinence ; seulement aurait-on pu grappiller quelques secondes sur de nombreuses séquences et raboter ici et là des minutes qui, à la fin, s’accumulent. Peut-être le montage aurait-il pu être plus vigoureux, plus agressif, plus vif. Le film n’y aurait rien perdu.
Mais tel qu’il est, il a l’immense qualité de présenter, en prenant son temps, les principaux acteurs, et les édifier en figures archétypiques et légendaires : le rigide héroïque colonel Travis (Laurence Harvey), l’aventurier bagarreur, agressif, opulent James Bowie (Richard Widmark, donc) et le héros magnifique, clairvoyant, bienveillant Davy Crockett (John Wayne. himself, évidemment). Trois hommes de qualité qui ne s’entendent pas forcément mais qui vont être conduits par la constance des évidences à se battre les uns à côté des autres et à mourir ensemble.
Alamo n’a pas manqué de moyens : grande quantité de figurants, beau spectacle des combats, ciels magnifiques filmés avec amour, musique très réussie de Dimitri Tiomkin, juste ce qu’il faut de séquences émouvantes et de propos héroïques, sauvageries spectaculaires et acteurs éclatés par les obus, fusillés, cloués par des baïonnettes contre les murs. Tout cela est très bien, très conforme à l’esprit des temps où l’on était fier de se sacrifier pour une cause.
Voilà un vrai film d’hommes : les quelques femmes qui y paraissent, si séduisantes qu’elles sont, n’y figurent qu’en faire-valoir des vertus viriles. Pour soutenir, par exemple le courage de ceux qui n’en n’ont pas assez et qui ne pensent pas qu’avant tout, ce qui compte, c’est le Devoir.
Autrement dit, c’est un film antédiluvien, sûrement incompréhensible pour presque tous nos jeunes contemporains. Raison de plus pour l’apprécier, n’est-ce pas ?