Surfait.
J’avais gardé un souvenir aimable d’Alexandre le bienheureux, qui s’inscrivait dans la veine rurale d’Yves Robert, après Ni vu, ni connu et La guerre des boutons (et il me semble même que Bébert et l’omnibus se passe en partie à la campagne). Revu l’autre jour, je me suis dit que ça n’avait pas bien passé les années et que, s’il n’en restait une sorte de préfiguration des idéologies de l’écologie et de la décroissance, on n’en parlerait plus guère. Mais, le film étant sorti sur les écrans au début de 1968, il est apparu après coup comme un éclairage de ce qui allait se passer dans certaines mouvances non-violentes, communautaires et libertaires. D’ailleurs, ce n’est sûrement pas faux ; je tiens depuis longtemps que les seuls qui peuvent avoir des visions d’avenir ne sont pas les scientifiques (les futurologues qui prédisent périodiquement des tas de trucs qui ne se réalisent jamais), mais les écrivains et les artistes…
Bref, hors cet intérêt-là, je ne vois pas de grandes qualités à Alexandre le bienheureux (tourné dans la même région, la Beauce, que Canicule ; amusant, non ?), malgré l’extrême photogénie de Marlène Jobert (de qui je n’ai pas dit de bien pendant des années, ce dont je me repends aujourd’hui). Même Philippe Noiret n’a pas encore trouvé la grande dimension qu’il prendra ensuite : il est encore très gauche, très emprunté, très balourd, et ce n’est pas simplement du fait du rôle. (Pourtant il a déjà montré dans Les copains, du même Yves Robert, deux ans auparavant, qu’il peut être seigneurial).
Toujours est-il que le caractère de fable d’Alexandre transparaît de façon très évidente, dans la mise en scène très saccadée (souvent proche du simplisme des films muets) et dans la naïveté volontaire des caractères et des situations. Un bémol là-dessus, le rôle intéressant tenu par Françoise Brion, la femme tyrannique d’Alexandre… (Tiens, Françoise Brion, en voilà une dont la carrière s’est vite arrêtée, après avoir hoqueté entre les tournages exigeants, voire hermétiques (les films de son mari, Jacques Doniol-Valcroze, les adaptations d’Alain Robbe-Grillet et les pires machins de Bernard Borderie ou de Jesus Franco : un beau visage trop sévère qui la confinait dans un emploi de garce).
Pour le reste, c’est le grand caravansérail des personnages folkloriques de la campagne française, à peine différents de ceux de l’horrible Soupe aux choux : forts en gueule, hâbleurs, cupides, égrillards, Paul Le Person, Léonce Corne, Pierre Maguelon, Pierre Richard… On se fatigue un peu à les voir sédimentés dans leurs personnages.
Ah ! J’ai écrit égrillard ; voilà un truc que je n’avais pas remarqué lors de mes premières visions du film et que je n’ai pas été plus fier que ça de découvrir ; à un moment, Agathe (Marlène Jobert) vient émoustiller Alexandre (Philippe Noiret) qui pêche tranquillement dans la rivière. Et alors qu’elle fait des effets de buste et de cuisses, brusquement le poisson mord et la canne d’Alexandre se lève brusquement. Qu’elle est grosse ! s’exclame Agathe devant la prise…
Ouaf, ouaf ! Voilà qui me fait penser aux graveleuses allusions de Billy Wilder ou d’Alfred Hitchcock qui avaient au moins l’excuse de vivre et de tourner dans un pays puritain…