Allemagne année zéro

aff-allemagneLe peuple du désastre.

Bizarre et intéressant de relire, quelques années après, le commentaire plus politique que j’avais déposé sur Allemagne année zéro ; je ne renie évidemment rien de ce que j’ai écrit, sur la relative indifférence que les citoyens des pays victimes de l’Allemagne ont pu ressentir sur les malheurs de ceux qui avaient bien cherché leur sort et bien mérité leur écrasement ; après tout, voilà qui montre avec éclat combien on est, qu’on le veuille ou non, solidaire de sa Nation, dans les fracas comme dans la prospérité.

Mais je n’avais guère parlé du film, qui mérite bien mieux que des propos à fleurets non mouchetés. Revenons à lui.

Oui, c’est un film prenant et important, comme Rome ville ouverte et comme Païsa avec qui il constitue une trilogie du désastre. Un moyen métrage (74 minutes) qui braque la caméra non plus sur les victimes, mais sur les bourreaux et qui, d’une certaine façon, porte donc un regard humaniste sur la guerre.

Il y a, d’ailleurs, dans Allemagne année zéro tout un discours sur le retournement des valeurs induit par le conflit : les chefs de famille sont des parasites inutiles, malades ou confinés dans leur maison et la nostalgie de ce qu’ils ont été ; les jeunes filles sont contraintes d’émoustiller les occupants alliés dans les dancings pour gagner quelques cigarettes, les bons soldats, qui se sont battus jusqu’au bout pour leur pays sont obligés de se terrer en craignant d’être arrêtés par la police…

germany-year-zero-1Et le personnage principal du film, c’est un enfant, Edmund Kohler (Edmund Moeschke), un garçon de douze ans, qui porte sur ses épaules le poids de sa famille et symbolise particulièrement le sort du pays vaincu : il n’est évidemment pas coupable du nazisme et des horreurs de la période, mais il en subit au premier rang le choc et la responsabilité.

Jusqu’à être, dans sa fragilité, complètement déséquilibré par le poids que font peser sur ses épaules les discours des adultes, celui de son père malade, qui ne cesse de geindre sur lui et sur les siens et appelle la mort, celui de son ancien instituteur, nazi et libidineux qui lui envoie dans la tête un plaidoyer eugéniste appelant à l’élimination des faibles et des malades. Et lorsque Edmund, ayant finalement accompli ce que ces adultes/références avaient commandé, et devant la perception de son crime se rend compte de l’horreur et veut retrouver son âge, il est, presque symboliquement, exclu de la bande des gamins avec qui il voudrait jouer au football.

Dès lors, comment s’étonner que, dans le vertige du basculement de tout ce qui a été inculqué et qui n’existe plus, ou qui ne peut plus être pratiqué, la seule issue d’Edmund soit le vide du suicide, puisqu’il ne peut s’appuyer sur rien de stable ? Il ne comprend ni ce qu’il a fait, ni ce qu’il va devenir…

Roberto Rossellini filme précisément l’éclatement d’un monde dans les longues séquences sur Berlin dévasté. Voilà ce qu’il a écrit : La ville était déserte, le gris du ciel coulait dans les rues et, à hauteur d’homme, on dominait les toits du regard ; pour retrouver les rues sous les décombres, on avait déblayé et entassé les gravats ; dans les fêlures de l’asphalte, l’herbe commençait à pousser ; le silence régnait, chaque bruit en était le contrepoint et le soulignait davantage ; un mur solide au travers duquel il fallait passer était constituer par l’odeur douceâtre de matières organiques corrompues ; on flottait sur Berlin. Peut-on mieux décrire à la fois la forme des images et le fond du film ?

Dans un carton placé au tout début du film, Rossellini indique qu’il a réalisé Allemagne année zéro pour apprendre aux enfants allemands à re-aimer la vie. Ne peut-on voir un signe d’espérance dans cette belle séquence qui est presque à la fin où les enfants errants dans les ruines s’arrêtent, émerveillés en entendant, venant d’une église désaffectée un inconnu jouer à l’harmonium le Largo d’Haendel (Ombra mai fu)…

 

Leave a Reply