Comme il est charmant, ce film, le troisième de Jacques Becker, tout plein de sa légèreté narquoise et de sa finesse d’observation ! Comme il décrit bien, avec de la chaleur, de la tendresse, de l’amitié, la vie du petit peuple des Épinettes, ce quartier de Paris qui est situé au nord de la place Clichy, qui n’est – ou qui n’était – ni trop misérable, ni trop sélect, aux lendemains de la Guerre, à une époque où le rationnement sévissait encore et où les profiteurs du marché noir tenaient encore le haut du pavé.
Car au delà de l’anecdote, funambulesque, amusante mais un peu superficielle du billet de loterie qui gagne 800.000 francs (plusieurs millions d’euros) et qui est perdu, retrouvé, confondu, et, finalement, triomphalement exhibé dans le bonheur sans mélange des petites gens, ce qui est magnifique, c’est cette vie intense de la rue, de l’immeuble, du palier, la qualité des rapports humains dans les étages élevés où, sous les combles, vivent dans la bonne humeur des tas de gens très sympathiques.
Il faudrait relier Antoine et Antoinette à tout un ensemble de films très typiques de la vie des Français des années Cinquante, qui valent bien davantage par le regard sociologique qu’ils portent que par le récit d’histoires habiles, et assez artificielles qui ne sont là que pour soutenir l’attention. Papa, maman, la bonne et moi ou Monsieur Taxi, c’est, en fonction de la classe sociale, soit le rôti de veau-jardinière de légumes, soit le bœuf miroton, mais c’est en réalité le même monde de braves gens, un peu grognons et grincheux, mais le cœur sur la main et l’invective facile.
Il y aurait aussi à étudier la mise en scène du côté râleur et dégoûté du populo contre les profiteurs, les mercantis, les arsouilles : le rejet par la communauté de l’immeuble des Batala (Jules Berry dans Le crime de Monsieur Lange de Jean Renoir), des Sénéchal (Saturnin Fabre, dans Les portes de la nuit de Marcel Carné) ou des Roland (Noël Roquevert, l’épicier à mains baladeuses de cet Antoine et Antoinette de Jacques Becker).
Plaisir de voir les images d’un Paris qu’on connaît sans vraiment le reconnaître, le Prisunic de l’avenue des Champs-Elysées , son rayon de colifichets, le photomaton qui a (presque) des allures de cathédrale, la guérite des vendeuses de billets de Loterie nationale et les acheteuses de dixièmes qui exigeaient à toute force des combinaisons de chiffres spéciales, les stations d’un métro où il y avait des wagons de première et de seconde classe, les poinçonneurs et les guichetières, aux temps où tout n’était pas encore automatisé, les jeunes mariées qui jouaient du piano (parce que c’est précisément la marque des jeunes filles bien élevées), les postes à galène, les cigares distribués comme des gourmandises…
Charmant et enlevé, Antoine et Antoinette est un peu moins réussi que seront plus tard Édouard et Caroline et Rue de l’Estrapade, qui se passent dans la moyenne et haute bourgeoisie, mais chaleureux et plein de ces complexes bons sentiments que la Gauche intellectuelle nourrit pour le prolétariat, qui la fascine et l’intrigue.
Et puis les acteurs principaux ne sont pas très bons et pâlissent devant la qualité des rôles secondaires. Je n’ai jamais compris ce que le visage enfariné et inexpressif de Roger Pigaut – Antoine – avait bien à faire dans le paysage du cinéma français et, dût la chose être possible, il parviendrait à m’agacer de voir et revoir Douce, chef-d’œuvre de Claude Autant-Lara où il joue Fabien, l’homme de tous les malheurs. Quant à Claire Maffei – Antoinette – elle est d’une parfaite insignifiance et a d’ailleurs disparu rapidement des écrans. Demeurent, outre le fascinant Noël Roquevert quelques physionomies connues du cinéma français, Annette Poivre, Pierre Trabaud ou Gaston Modot. Et, en silhouettes à reconnaître en un clin d’œil, car elles passent vite sur l’écran les débutants Jean-Marc Thibault et Louis de Funès.
Palme d’Or 1947 du Festival de Cannes (ce qui est tout de même beaucoup), Antoine et Antoinette n’est pas vraiment au niveau des grands films de Becker (Goupi mains rouges, Falbalas, l’immortel Casque d’or, Touchez pas au grisbi, Le trou), Becker dont l’œuvre est exemplaire de qualité, chaleureuse, attentive, généreuse.
Quel dommage que l’édition Gaumont à la demande soit de si médiocre qualité !