Un coin où se brisent les rêves
Louis Malle est un cinéaste tellement décontenançant, qui virevolte, sans apparente continuité logique entre les thèmes, les sujets, les atmosphères, les périodes, que j’avais laissé passer en son temps Atlantic City, après avoir été très déçu, et même un peu davantage par La petite.
Mais l’excellente édition presque exhaustive entreprise par Arte m’a conduit à effectuer une révision générale de l’oeuvre et, comme je la mets à la hausse, (malgré le regrettable Fatale) j’ai découvert un film attachant et singulier.
Déjà, dans l’imaginaire de tous les petits garçons qui ont grandi dans la fascination de ces grands types virils qui jouaient aux cow-boys ou aux corsaires, voir Burt Lancaster, archétype du héros balèze, et très généralement placé du bon côté de la Loi et de l’Ordre, voir ce colosse jouer le rôle d’un bookmaker vaguement gigolo, miteux et trouillard, commence à éveiller l’intérêt.
S’y ajoute une Susan Sarandon au charme assez étrange pour être la conquête ambiguë de Catherine Deneuve dans Les prédateurs ou une des victimes consentantes du démoniaque Jack Nicholson dans l’amusant Les sorcières d’Eastwick, c’est-à-dire d’aborder avec assez de bonheur le genre fantastique, et d’être dans Atlantic City une pauvre fille paumée dont le rêve est de devenir croupière à Monte-Carlo.
Et puis, et surtout peut-être il y a cette vieille cité balnéaire délaissée de la côte Est des Etats-Unis, prospère aux temps de la prohibition, endormie et presque clochardisée depuis lors, dont les édiles n’ont rien trouvé de mieux que de la vouer au jeu, comme une sorte de pendant oriental de l’étrange Nevada. Mais avant qu’une prospérité de cocagne ne revienne, il y vit encore bien des gens minables ou douteux, dans un décor parcimonieux, dans des rues étriquées…
Tout ça est un peu sordide, un peu crapoteux ; personne n’est bien net, bien franc du collier : c’est qu’Atlantic city est ce coin où se brisent les rêves, ceux d’être et d’avoir été…
Louis Malle filme ça avec tendresse et humanité ; finalement ceux qui méritaient le plus de continuer à exister, Lancaster et Sarandon, survivent.
C’est déjà ça.