Grand film méconnu
J’ai regardé hier cet Au-delà des grilles ; c’est bien, très bien, même et je le recommande, d’autant que c’est une curieuse époque dans la carrière de Gabin : en 1949, ce n’est plus l’immense vedette d’avant-guerre (Le jour se lève – 1939 – date déjà de dix ans) et il va encore attendre plusieurs années avant de revenir au premier plan (Touchez pas au grisbi – 1954 -), vieilli, mûri, prêt pour tous les rôles.
Dans Au-delà des grilles on sait qu’il n’est pas, qu’il n’est plus le séducteur à qui aucune Mireille Balin, aucune Michèle Morgan, aucune Viviane Romance, aucune Simone Simon ne pouvait résister : son personnage, Pierre, en a pris un coup, lorsque sa maîtresse, en France, une fille de 22 ans, lui a dit Tu es trop vieux !. Il l’a tuée, dans un accès de rage. Il a fui. Passager clandestin, il débarque à Gênes. Dépouillé d’une forte somme d’argent, errant dans Gênes, il va rencontrer Marta (Isa Miranda) qui, avec sa fille, Cecchina, a, elle aussi, fui la France (Nice) pour échapper à un mari assez louche tenancier de bar.
Entre ces deux fuyards, l’attirance est immédiate, mais alors que Marta croit encore possible de trouver un autre Destin, Pierre sait bien qu’il est trop tard pour y croire ; alors que Marta se penche sur Pierre endormi et murmure Tu n’es pas vieux…et je n’ai plus vingt ans, il accepte de jouer le jeu, mais sans illusion aucune.
Et lorsqu’il est arrêté par la police italienne pour le meurtre commis en France, il lâche à Marta Tu vois…on n’y serait pas arrivé….
Ce sont là les derniers mots d’un film grave, qui se passe tout entier dans un Gênes encore blessé,dévasté par les bombardements, qui fait, ici et là, curieusement penser, avec ses éboulis, ses bâtiments ruinés, les décombres de ses maisons patriciennes, à la Vienne du Troisième homme.
René Clément filme tout ceci avec une grande sensibilité et une virtuosité remarquable ; le maniement des caméras ouvre des perspectives fortes au récit par sa mobilité et certaines symboliques (plongées sur carrefours, contre-plongée sur les ruelles où guettent les policiers) ; la solidarité envers le fugitif du petit peuple gênois est belle, dans l’esprit du temps et du néo-réalisme.
Je ne connaissais pas Isa Miranda qui est superbe en femme qui n’a jamais aimé et qui voit, en quelques brefs jours, s’ouvrir, puis se refermer les perspectives d’une passion et d’une renaissance ; à un an près, née en 1905, elle avait le même âge que Gabin, né en 1904 et elle incarne à merveille ce personnage de quadragénaire abîmée par la vie, mais pleine de courage et de dignité.
Quant à Gabin, littéralement entre ses deux âges, il a dans l’oeil cette fatigue de la vie qu’il transporte depuis bien longtemps déjà, sans doute depuis toujours, mais qui est désormais sans espoir.
Comme c’est agréable de découvrir un beau film !