Bal Cupidon

L’assassin est dans l’annuaire.

Ce qu’il y a de meilleur, dans ce film de grande série tourné sans éclat et sans ennui par le fertile Marc-Gilbert Sauvajon, c’est sûrement l’atmosphère de la vie bourgeoise cossue de Cheranzy, petite ville de province quelques années après la fin de la guerre. Au fait, de la guerre il n’en est pas question une seule seconde, pas même pour évoquer des trafics, des dénonciations, des déportations. Et les seules lettres anonymes dont on parle sont écrites pour évoquer l’infidélité d’une jolie jeune femme à son vieux mari. On peut penser que la population française, en 1948, n’avait absolument aucune envie qu’on la replonge dans les histoires douteuses où chacun avait à peu près trempé et pris sa part.

Donc le milieu bourgeois dont on verra plus tard qu’il fourmille de secrets plus ou moins connus par tous, plus ou moins honorables, plus ou moins dissimulés. Ce misérable petit tas de secrets dont le Président François Mitterrand disait que chaque vie comporte. Et naturellement, ce qui va de pair, l’immuable et indispensable hypocrisie courtoise qui seule permet que tous les membres de la société puissent se fréquenter, se recevoir, passer ensemble de bonnes soirées à bridger, bavarder, danser. La vertu et la transparence exigées aujourd’hui à tout moment de tout le monde n’effacent en rien les rancœurs mais obligent à une violence de rapports humains et de propos qui rendent la vie invivable.

Le scénario de Bal Cupidon ne casse pas trois pattes à un canard. Il est étagé en plusieurs strates. D’abord l’installation dans la bourgade, à la suite d’un accident de voiture, de Philippe (Flip) Arnaud (Pierre Blanchar), célèbre détective privé et irrésistible séducteur dont la rencontre avec Isabelle Plessis (Simone Renant), avocate riche et célibataire sera la trame du film. Partie assez faible de Bal Cupidon : on a immédiatement compris que l’encore jeune femme, malgré qu’elle en ait, va être irrésistiblement attirée par le joli cœur. Trop cousu de fil blanc pour être honnête.

Puis le mystère policier : Cresat (Henri Crémieux), homme d’affaires infirme détestable et d’ailleurs détesté par tous est le mari d’Anne-Marie (Maria Mauban) jeune et jolie femme qu’il a sorti de la pauvreté. Il la soupçonne – à raison – d’être la maîtresse de Morezzi (Yves Vincent), ancien voyou qui semble s’être (un peu) acheté une conduite et qui est le patron du Bal Cupidon où la bourgeoisie locale vient un peu s’encanailler en regardant des spectacles de gambettes en l’air (les Bluebell girls) et d’assez sages tableaux dénudés. Et puis Cresat est découvert un beau matin le crâne fracassé dans le bureau de Morezzi.

Le juge d’instruction Gratien (François Joux) mène l’enquête mais s’en voit vite dépossédé par le détective Flip qui commence à plaire beaucoup à Isabelle, l’avocate, qui regimbe pourtant ; mais comment voulez-vous à résister à un si joli marivaudage ? Ce sourire vous va très bien, vous devriez le mettre plus souvent !

Une trop longue séquence de bagarre générale au Bal Cupidon (dont j’ai la flemme de conter tenants et aboutissants) puis l’évidence que bien des membres de la société de Cheranzy avaient des raisons de se débarrasser de Cresat : sa femme Anne-Marie et son amant Morezzi pour être libérés et profiter de la fortune du mort ; Mme Delacroix (Suzanne Dantes) qui a jadis divorcé pour Cresat, en a été abandonnée et a vieilli en laissée pour compte ; Chanut (Pierre Juvenet), un vieux magistrat qui devait beaucoup d’argent à Cresat ; Tonie (André Bervil), petit truand qui fournissait Cresat en cocaïne et était désormais victime d’un chantage du mort ; Turnier (René Blancard), beau-frère de Crésat, dont il avait épousé la sœur et que Crésat a essayé de ruiner…

Je ne vais évidemment pas vous dire qui est le coupable, évidemment démasqué par Flip. Mais je vais dire un mot des acteurs principaux.

Du bien de Simone Renant inoubliable Dora, la photographe lesbienne de Quai des Orfèvres, qui abandonna très tôt le cinéma, alors qu’elle était encore bien séduisante dans L’homme de Rio en 1964 (c’est la patronne du bar et chanteuse où croit pouvoir se réfugier Adrien/Belmondo). Du très mitigé sur Pierre Blanchar au profil de médaille mais une médaille qui serait taillée dans du marbre. Il avait 56 ans en 1948 et de fait paraît trop âgé pour le rôle d’un détective privé désinvolte et séducteur (où Belmondo précisément aurait été éclatant).

Mais c’était une découverte agréable.

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