Si je m’arrêtais à la seule façon de filmer de Claire Denis, à son sens de l’image, aux singulières chorégraphies qu’elle met en scène dans Beau travail, je ferais monter bien plus haut mon appréciation. S’accrochant à la vie d’une petite unité de la glorieuse 13ème Demi-brigade de la Légion étrangère alors stationnée à Djibouti, le regard se pose avec talent à la fois sur l’extrême exotisme aride de la contrée et sur l’entraînement quotidien des légionnaires. On pourrait se croire, au début, dans un de ces reportages qui présentent les performances magnifiques de ces soldats d’élite ; et ceci sans la mise en valeur des histoires individuelles et des commentaires empathiques des soirées télévisées.
C’est beaucoup mieux, se dit-on. Beaucoup mieux réalisé, beaucoup mieux montré, beaucoup mieux présenté. Il y a une esthétique très particulière, assurément, dans ce film. On peut ne pas l’apprécier, d’ailleurs.
D’abord le site. Ce qui fut la côte française des Somalis n’a, a priori, rien d’attrayant : paysages désertiques très rudes, amoncellement de rochers, montagnes farouches ; et la ville de Djibouti même n’est qu’un magma de bâtisses misérables qui entourent un centre ville sans caractère. Un climat épouvantable : fortes chaleurs (moyenne de près de 40° pendant de nombreux mois) associées à une intense humidité due à la proximité de la mer Rouge. Un peu plus avant dans le film on découvrira de surprenantes images de la mer Rouge d’un bleu profond agitée par un friselis de vagues ; aussi la beauté du lac Assal, le plus salé au monde et ses concrétions magiques.
Puis l’entraînement des légionnaires, les exercices quotidiennement répétés, le dépassement de ses limites, la discipline exigeante. Full metal jacket ? Oui, bien sûr, on y songe ; mais avec une qualité esthétique différente, qu’on peut juger un peu artificielle mais qui est de toute beauté. Si j’ai écrit plus avant singulières chorégraphies, c’est que Claire Denis a fait appel au chorégraphe Bernardo Montet pour plusieurs séquences et qu’on se laisse bien prendre à ces évolutions rythmées et brutales.
Je suis beaucoup moins séduit par le récit qui sous-tend le film, paraît-il inspiré de Billy Budd d’Herman Melville. L’amertume de l’adjudant-chef Galoup (Denis Lavant) qui erre sans but dans les rues de Marseille le fait, en flash-back, rejoindre ses camarades de la Légion à Djibouti, où, parfait sous-officier, il est sous les ordres d’un homme qu’il admire et, d’une certaine façon, aime filialement, le commandant Forestier (Michel Subor). Et voilà qu’arrive dans l’unité un nouveau légionnaire, Gilles Sentain (Grégoire Colin), aussi beau que fort, agile et courageux. Le commandant Forestier le remarque et l’apprécie d’autant plus qu’à la suite d’un accident d’hélicoptère, Sentain sauve la vie d’un de ses camarades. Et puis il n’a ni père, ni mère : c’est un enfant trouvé ; et songeur, le commandant murmure Belle trouvaille…
Galoup/Lavant voit bien que la relation privilégiée qu’il avait avec son chef n’a plus la même tonalité qu’auparavant. Il s’en irrite et le supporte de plus en plus mal. Il ira jusqu’à le conduire aux portes de la mort, sera chassé de la Légion et ruminera son infortune dans les rues d’un Marseille d’hiver. Je trouve que c’est sous cet aspect qu’il y a une faiblesse : une intrigue qu’on peut qualifier soit de machiavélique, soit de hasardeuse (je ne veux pas la conter, mais on peut juger qu’elle est l’une ou l’autre) entraîne la punition inhumaine de Sentein, lâché avec une boussole trafiquée en plein désert…
Une fois dit cela, Beau travail est vraiment un film puissant, rare, intéressant. C’est le premier film de Claire Denis que je regarde, mais ça me donne envie d’en voir d’autres.