Belle grande machine !
En plaçant le débat aux jours lumineux de la fin de l’enfance et qu’il semble qu’on puisse y prendre du plaisir, je vais peut-être me laisser tenter à revoir ce Ben-Hur…
Parce que, si, à l’époque, en 59 ou 60, quand j’ai vu cette grosse machine, elle m’avait bien plu elle ne m’avait pas vraiment emballé, comme au contraire l’avaient fait Les Dix commandements, par exemple quelques années auparavant.
Bien sûr, la course de chars était extrêmement spectaculaire, bien sûr les retrouvailles de Ben Hur et de sa mère et sa sœur, devenues lépreuses (je crois que c’est ça, non ?) étaient très impressionnantes, mais il me semble qu’il y avait beaucoup de cette insupportable propension hollywoodienne à insérer au milieu des scènes d’action – ou, plus simplement, des scènes qui font avancer l’intrigue – des torrents d’émotion melliflue, rendant l’ennui aussi pesant que, par exemple, les récitatifs de l’opéra…(je vais me faire des amis parmi les mélomanes !)
Et je me disais encore récemment que ces défauts que je percevais bien du haut de mes dix ou onze ans, me sembleraient insupportables si je revoyais le film cinquante ans après.
Peut-être, en fait, et au contraire, l’âge, l’expérience, la distance me rendront-ils plus indulgent, voire plus laudatif…
Je vous dirai cela !
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Eh bien, j’ai passé deux soirées (parce que le film fait tout de même quelque chose comme 3h40 !) à regarder Ben-Hur et je viens assez à résipiscence, remerciant ceux qui m’y ont incité à me replonger dans cette grande machine.
Je crains, malheureusement, qu’il faille être un enfant du baby-boom pour apprécier ce fleuve, en s’appuyant sur les souvenirs de projections dans des cinémas de l’époque, avec balcons, chocolats glacés et actualités Fox-Moviétone ; parce que l’histoire est plutôt naïve et primaire, la psychologie des personnages infantile et le discours assez niais. Et comme en matière de séquences spectaculaires et d’effets spéciaux, on a fait passablement de progrès, je ne suis pas certain que des jeunes gens (les moins de quarante ans, d’une façon générale) pourraient regarder le film sans s’ennuyer.
Cela étant, qui est un doute et une interrogation jetée à la face de la génération actuelle, j’ai trouvé bien agréables de nombreuses séquences, celles dont je me souvenais – la course de chars, évidemment, mais aussi les retrouvailles de Juda (Charlton Heston
) avec sa mère et sa sœur lépreuses – et celles que j’avais oubliées ; la bataille navale, le choc des galères sous un admirable ciel de suie est un très beau moment, et la crucifixion du Christ ne manque pas de la sauvagerie qui sied à ce moment terrible (on a pu faire la fine bouche et la mine dégoûtée sur le réalisme des tortures de La Passion du Christ
de Mel Gibson
, mais, plus de quarante ans auparavant, il y a bien du sang et des clous dans cette représentation par William Wyler
!).
Les séquences romaines ne manquent pas non plus de qualité, même si elles n’offrent pas la démesure du Cléopâtre
de Mankiewicz
ou l’outrance du Caligula
de Bob Guccione ; mais finalement, c’est peut-être ce qui me retenait jadis et naguère, et ce qui me retient encore aujourd’hui : mon antique passion pour Rome souffre du ton résolument anti-romain d’un film qui présente comme seuls légitimes les points de vue des peuples asservis, sans jamais montrer ce que la Pax romana a apporté au monde, en calmant la férocité de peuples turbulents…
Mais ceci est une autre histoire…
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Voilà plein de sujets, très divers les uns des autres, évoqués à l’occasion de mon mince entrefilet sur Ben-Hur ! Sujets profanes, comme l’homosexualité paraît-il latente des deux protagonistes, sacrés, comme le jugement porté – ou volontairement non porté ! – sur La Passion du Christ
, ou sujets plus directement cinématographiques…
Sur le premier point, je dois dire que mes douze ans – d’une innocence de cristal ! – n’avaient pas remarqué que Ben-Hur et Messala… si vous voyez ce que je veux dire… mais que la re-vision laisse effectivement planer un doute ; la scène du défi porté par le Cheikh Ilderrim à Messala dans la palestre – ce qui justifie la demi-nudité de l’entourage du tribun et le torse luisant d’huile de Stephen Boyd – peut être ressenti comme un clin d’œil aux homosexuels (sans parler de tous ces corps torturés, et également demi-dénudés, dans les galères…
Sur le sujet plus grave de La Passion du Christ, j’ai très largement explicité ma position, en plusieurs messages ; les convictions religieuses de chacun, la sensibilité particulière à ces sujets donnent un éclairage personnel à un film qui n’est effectivement pas comme tous les autres.
Quant aux propos cinématographiques touchant à Jules César, à La tunique
ou à La chute de l’Empire romain
, nous pourrions les reporter sur ces films.
J’avais oublié de mentionner, dans mon message précédent, l’impression très forte que fait la prison romaine où le geôlier découvre que mère et soeur de Ben-Hur sont lépreuses ; si brève qu’est la séquence, elle marque et me fait resonger combien, chaque fois que je vais à Rome, je suis touché par les restes de la prison Mamertine, sorte de sablier, avec deux cachots superposés, où furent enfermés Vercingétorix (mais moi, je m’en fiche, parce que je suis clairement du côté romain et profondément ravi d’Alésia !) et Saint Pierre (ce qui m’agace davantage, puisque j’en porte le prénom !!)
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Indociles, brouillons, râleurs, incapables de la moindre discipline, les Gaulois n’étaient guère capables que d’exploits individuels. En termes footballistiques, ils jouaient perso ; or, à la guerre comme sur le terrain, c’est l’harmonie de l’équipe qui l’emporte sur les talents anarchiquement dispensés !
D’ailleurs, dans la (fausse) histoire, l’histoire revue par la BD, lorsque le nabot et l’obèse (Astérix et Obélix) parviennent à retarder la majestueuse implantation de la Pax romana, c’est grâce à un artifice déloyal : la potion magique ! Eh oui, chers amis, vos idoles goscinnyennes sont des dopés, usés jusqu’à l’os par la consommation de substances interdites ! C’est comme ça ! Ben Johnson, Lance Armstrong, Floyd Landis et Astérix, même combat !
Cela étant, et pour être un peu plus sérieux, dans quel état de sauvagerie notre merveilleux pays serait-il resté si l’ordre civilisateur romain ne lui avait pas permis de devenir le plus beau pays du monde ! Je vous invite à méditer cette pensée d’Alexandre Dumas dans un bouquin méconnu qui s’appelle Gaule et France : Il y a cela de remarquable que la civilisation qui conquiert la barbarie la tue ; et la barbarie qui conquiert la civilisation la féconde. Rome a fécondé la Grèce, et a tué la Gaule. Pour le bien de tous !