D’une manière générale, le cinéma de Michael Haneke, qui est incontestablement un des plus remarquables cinéastes d’aujourd’hui est empreint de la haine de soi. C’est éclatant dans 71 fragments d’une chronologie du hasard, dans La pianiste, dans Le ruban blanc ; il y a aussi, toujours, un regard grave, distant, inquiétant sur la nature humaine et sur ses comportements singuliers (Funny games, Caché et même Amour. Cinéma du malaise, cinéma malsain et culpabilisant.
Benny’s video, qui est un des premiers films du réalisateur est tout à fait conçu dans cette optique : un adolescent, dont on voit facilement qu’il n’est pas bien dans sa peau (comme tous les adolescents, me dira-t-on, n’empêche que…) issu d’une famille tranquille, bourgeoise, paisible, sereine de Vienne, s’est enfermé à peu près dans son malaise. Sans éclat, il paraît sage et calme, il a des amis, il suit à peu près consciencieusement sa scolarité ; mais dans sa chambre il passe son temps à regarder des vidéos violentes, cruelles, choquantes. Ses parents (Angela Winkler et Ulrich Mühe), qui font partie de la classe moyenne supérieure, paraissent à peine inquiets de son comportement. Très souvent absents, très occupés, sans affectivité.
Benny (Arno Frisch, qui sera le tortureur principal indifférent de Funny games), fréquente assidument un vidéo-club où il loue des cassettes. Devant la boutique stationne souvent une adolescente (Ingrid Stassner) qu’un jour Benny invite chez lui ; elle a si peu d’importance substantielle qu’on ne connaîtra pas même son prénom ; mais on voit qu’elle est, comme Benny, étrange et emmurée dans un monde un peu différent. Le garçon, après avoir montré un film où un cochon est abattu avec un pistolet spécial, exhibe ce même engin qu’il a dérobé aux éleveurs et qui est destiné à assommer les animaux avant leur égorgement. La fille le défie de s’en servir sur elle.
Mauvaise idée : il la blesse gravement puis, ne pouvant supporter ses hurlements, la tue. Nettoie minutieusement la pièce maculée par le sang, place le corps dans le congélateur. Se fait raser les cheveux. Lorsque les parents reviennent de week-end, leur montre la scène qu’il a consciencieusement enregistrée en vidéo.
Que faire ? D’abord s’assurer qu’aucun lien ne pourra être établi entre la famille et la fille ; puis réfléchir à la façon de se débarrasser du corps : en le dépeçant en tout petits morceaux que le père évacuera peu à peu, dans les toilettes. Ceci en même temps que la mère emmènera Benny une semaine en Égypte en vacances. Où il s’ennuie, où il a trop chaud, où il ne dit rien. Au retour, tout semble s’être bien passé ; les journaux paraissent n’avoir pas évoqué la disparition de la jeune fille, la vie semble reprendre le cours paisible, prospère qu’elle avait, dans l’Autriche de la fin du siècle dernier.
Tout est redevenu tranquille, mais rien n’est si simple.
S’il est un cinéma qui, sans le dire explicitement, témoigne à vif de l’épuisement structurel du monde occidental, c’est bien celui de Michael Haneke. Là où Michel Houellebecq explore notre délitement dans le sarcasme, l’outrance, l’excès, la sexualité, Haneke dresse le même constat dans la froideur, la lenteur, l’ennui des sociétés d’apparence sage, en fait animées par le fouillis des perspectives sans avenir.
Qu’allons-nous devenir ?