Boudu sauvé des eaux

Tendre et moqueur Renoir…

Euh… j’ai bonne mine de m’être scandalisé, d’être vertueusement (et métaphoriquement) monté sur mes grands chevaux pour m’indigner, il y a quelques années, que Boudu sauvé des eaux ne soit édité que chez René Château. Il y a désormais une édition Pathé, qui doit être bien meilleure… mais que je ne testerai pas… Autant l’emplette de la meilleure version du DVD m’avait paru justifiée pour French cancan, autant elle ne s’impose tout simplement pas en l’espèce, parce que, à la revoyure, le film de Jean Renoir si intéressant qu’il est, n’atteint pas le niveau supérieur. Je resterai donc avec mon DVD initial, ce qui me paraît bien suffisant.

Qu’est-ce que Boudu, sinon la fable rieuse de Jean, hédoniste aimable, né avec une cuillère d’argent dans la bouche, au moment où son père Auguste accumule les succès critiques et commerciaux et comprend qu’il y a de l’or à se faire (et il en fait !) avec des nus, des baigneuses, des scènes de guinguettes vivement croquées, dans une sorte de flamboiement aussi coloré que païen de chairs dodues ? Et au bout, chez ce sceptique doué pour le bonheur, une sorte d’anarchisme pacifique de style artiste ?

Prompt à se moquer des travers de la bourgeoisie, des gens coincés, de la classe moyenne, Renoir est, d’une certaine façon, un précurseur des bobos d’aujourd’hui, bobos qu’on appelait encore, il y a une vingtaine d’années, des lilis (libéraux-libertaires), c’est-à-dire des nantis à bonne conscience, que leur fortune, ou l’agrément de leur métier, rend ouverts à toutes les différences.

Boudu est très typique à cet endroit : la fascination pour le clochard Boudu (Michel Simon, bien sûr) du libraire Lestingois (Charles Granval, excellent) affublé d’une femme acariâtre et enquiquinante (Marcelle Hainia) qu’il trompe avec la bonne, Anne-Marie (Séverine Lerczynska) est celle d’un doux rêveur jouisseur pour une sorte d’image fantasmée de ce qu’il aimerait quelquefois être ; Lestingois a, dans ses songes, envie d’être sauvage, égoïste, puéril, exaspérant, naturellement sensuel comme l’est Boudu. Comme le faune qu’il se voit être dans les premières images du film.

Mais ne se débarrasse pas de la Civilisation qui veut ! Et quand Boudu (dans des scènes tout de même bien outrancières) salope tout l’appartement des Lestingois, essuyant le cirage qu’il a étalé de ses doigts avec le couvre-pieds de satin de la chambre de Mme Lestingois, dévastant la cuisine, crachant dans la Physiologie du mariage de Balzac, la mesure est comble.

Renoir s’en sort avec son habileté coutumière, en ménageant la double révélation simultanée des amours du libraire avec la bonne et de sa femme avec Boudu. Comme le film est tiré d’une pièce de théâtre, on ne s’étonne qu’à moitié de l’artifice… Au fait la révélation sensuelle que fait peser Boudu sur la maisonnée m’a fait penser, de manière volontairement grotesque, à Théorème de Pasolini où une sorte d’ange maléfique révolutionne les sens d’une famille bourgeoise… Mais je n’ai plus vu le film depuis trop longtemps pour pousser plus loin la comparaison…

Boudu est un film court – 80 minutes – qui l’est plus encore de fait, puisque les dix dernières minutes (la noce sur la Marne, le basculement de la barque, la fuite de Boudu) tirent plutôt à la ligne.

Sauvé des eaux et de son suicide initial par Lestingois, Boudu se sauve du suicide sociétal que serait son mariage en basculant à nouveau à l’eau. C’est un peu court, mais assez drôle…

Ah ! Pour ceux qui n’ont que jérémiades écologico-passéistes et déplorent la construction de la voie express de la rive droite (voie Georges Pompidou), je constate avec goguenardise qu’en 1932, les quais bas au dessous du Louvre étaient occupés par des dépôts de matériaux, sables, graviers, bois d’ouvrage… Vive le Progrès !

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