Canicule

Poisseux.

Débarrassé de ses outrances – de ses obsessions ? – anticolonialistes, marxistes et sociales, Yves Boisset se laisse glisser sur la pente. Une pente rare dans le cinéma français et justement alors intéressante : celle de l’outrance, de l’excès, de la grandiose imposture, du rire sans retenue et sans mesure : celle de Calmos de Bertrand Blier, celle des Galettes de Pont-Aven de Joël Séria, celle de la méchanceté sans raison et du sarcasme sans but, celle du jappement et de la morsure ; tout n’est pas réussi – à vrai dire, ça ne tient pas la route – mais ça donne des fulgurances qui glacent les pisse-froid. Je ne peux pas dire que je regarderais ce genre de cinéma trop souvent, mais ce cinéma me manquerait s’il n’existait pas. Sortir du jardin à la française pour entrer dans la jungle boursouflée n’a rien de déshonorant si on n’en fait pas son ordinaire.

Canicule est évidemment le meilleur film de Boisset et la note médiocre que je lui décerne n’a bien sûr rien à voir avec la vraie tendresse que je lui porte depuis que je l’ai découvert sur l’écran, tendresse entretenue par une demi-douzaine de visions, en intégralité ou en petits bouts zappés ici et là. C’est sale, c’est gluant, c’est répugnant, c’est dégueulasse, c’est moche, c’est plat comme la Beauce.

C’est écœurant comme Ségolène (Bernadette Lafont) chienne en chaleur boiteuse, dépoitraillée, maculée de boues et de spermes divers… Écœurant comme Horace (admirable Lanoux) et ses coups de queue digestifs, qui baise sa femme (Miou-Miou) comme il rote, écœurant comme Socrate (Jean Carmet), qui a la chtouille et la nostalgie des congaïs du Tonkin, écœurant comme Agnello de La Cruz (David Bennent), avorton malsain, pustule anormale, vicelard, déjà gâté, déjà carié.

canicule-3Hors de ce joli monde, les pires canailles apparaissent presque comme rafraîchissantes et Jimmy Cobb (Lee Marvin), le tueur aux balles dans les genoux (il paraît que c’est vraiment très douloureux) a quelque chose de franc du collier, de simple et de fréquentable qui finirait presque par le rendre sympathique ; mêmement les trois Pieds nickelés, grimés comme des personnages de Tex Avery, Marcel (Jean-Pierre Kalfon), à l’élégance sucrée de rastaquouère, Snake (Pierre Clémenti), vicelard calamistré qu’on devine tortureur sadique au couteau, Julio (Jean-Roger Milo) au visage de bouillie sommaire…

48f1311b2f97ebfe07418e2134913eeecdaa7fe9Tout le monde tue ou se tue, et c’est un moment délicieux du film où, en l’espace de quelques minutes sont zigouillés Horace, l’adjudant Marceau (Henri Guybet), les deux campeuses allemandes, Ségolène, Horace, la vieille servante terrifiée Gusta (Muni, actrice fétiche de Luis Bunuel) et, à peine plus tard, l’inspecteur de police Rojinski; assassiné après l’amour par Jessica (Miou-Miou). Très joli pendant à la scène initiale où Boisset, lors du hold-up de la banque, ne s’est absolument rien refusé, y compris la mort d’un enfant sortant de l’école, touché par une balle perdue…

Agitations dérisoires sur qui règnent ironiquement, inscrits sur l’étrange château-bateau où Agnello construit ses rêves, les derniers mots de Simon Bolivar constatant l’inanité de son action, J’ai labouré la mer

À quoi, naturellement on peut préférer Charles Péguy

Étoile de la mer voici la lourde nappe
Et la profonde houle et l’océan des blés

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