Archive for the ‘Chroniques de films’ Category

Les dernières vacances

vendredi, décembre 10th, 2021

La toge prétexte.

Comment Roger Leenhardt aurait-il pu espérer retrouver jamais cet état de grâce, ce beau miracle de sensibilité et d’intelligence, après avoir tourné, en 1948, Les dernières vacances ? De fait, il se consacra ensuite à la production de films documentaires et sa seule autre incursion dans la réalisation de fiction, Le rendez-vous de minuit, en 1961, ne fut pas une réussite. Alors que Les dernières vacances est un pur bonheur de finesse, par le regard porté sur le moment fragile où l’adolescence entre dans la jeunesse, ce moment où, à Rome, les enfants commençaient à devenir des hommes en portant la robe prétexte avant de revêtir la toge virile à 17 ans. Ce moment où l’insouciance commence à s’enfuir, comme s’enfuient les longues semaines d’un été qui n’a jamais été aussi beau que cette année-là.

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La vie de Jésus

jeudi, décembre 2nd, 2021

Triste pinson des Flandres.

Né lui-même à Bailleul, entre Lille et Dunkerque, Bruno Dumont ne cesse de filmer son Nord. Sans tricher ni tromper le spectateur : on n’est pas, avec lui, dans l’immonde bouffonnerie dégradante de Bienvenue chez les ch’tis. Les images de Dumont ne dissimulent ni le ciel gris, ni la pesanteur banale de la ville de briques sales, ni la laideur des campagnes pelées à lourds chemins boueux, ni l’ennui incroyable des rues de province. Et elles n’ont pas beaucoup de complaisance pour les corps et les visages des acteurs, non professionnels, qui ont vraiment des tronches maladives, graisseuses, marquées par la fatalité de l’alcoolisme héréditaire. (suite…)

Le tour du monde en 80 jours

lundi, novembre 29th, 2021

Les dessous de cartes d’une partie de whist.

C’est curieux, j’ai l’impression qu’on ne parle plus guère, pour ainsi dire plus du tout de ce long film qui fut pourtant un grand succès mondial et qui remporta cinq Oscars. Il est vrai qu’avec Jules Verne, l’auteur français le plus traduit et dont l’œuvre est la plus adaptée dans le monde, on jouait gagnant à tous les coups. Si Le tour du monde en 80 jours, en 1957 n’a pas connu le même triomphe que Vingt mille lieues sous les mers de Richard Fleischer en 1955 et que Michel Strogoff de Carmine Gallone en 1956, qui ont attiré respectivement près de 10 et de 7 millions de spectateurs, le film de Michael Anderson a très bien tenu son rang au box-office français, il est vrai cette année dominé par Le pont de la rivière Kwaï de David Lean et par Sissi d’Ernst Marischka : des mammouths. (suite…)

Camille Claudel

samedi, novembre 27th, 2021

Les histoires d’amour finissent mal (en général).

Cette pauvre fille paranoïaque n’aurait aujourd’hui plus aucune notoriété si Bruno Nuytten ne lui avait consacré un film en 1988, qui a bénéficié de la bienveillance et des gras financements de tout ce que le cinéma peut compter. Déjà il y a trente ans et davantage, le politiquement correct pointait son nez de fouine haineuse et écrivait la réalité à l’aune de ses obsessions féministes et pleurnichardes. Je n’ai évidemment aucune compétence, aucune pertinence à juger la qualité artistique de l’œuvre de cette jeune femme dérangée, aujourd’hui placée sur un piédestal, mais je gage que si elle n’avait pas été femme, rebelle et délaissée par son amant, on en parlerait beaucoup moins.

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Jeanne Dielmann, 23 quai du Commerce Bruxelles

lundi, novembre 22nd, 2021

Elle ne rit pas, ni ne rêve, ni ne pense,

Elle fait ce qu’elle doit

Il m’arrive, il m’arrive assez souvent même de regarder un film dont je crois savoir d’emblée qu’il n’aura rien pour me plaire : un western, un film japonais, un film expérimental ; quelquefois ce forçage de ma nature n’est pas tout à fait dénué d’intérêt ; en tout cas peut entrer dans ma nomenclature des films que je ne suis pas mécontent d’avoir vu mais que je n’ai aucune intention de revoir jamais. Curieuse sensation et, pour Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles, au titre aussi long que sa durée (3h14), une forme d’hypnose d’autant plus gênante qu’elle survient sur des images qui ne présentent aucune histoire et qui dévident sans complaisance une existence absolument terne. (suite…)

Frissons

vendredi, novembre 19th, 2021

L’orgie pour toutes les bourses.

Premier film professionnel d’un réalisateur très atypique, dérangeant, déplaisant, dégoûtant même, mais nullement insignifiant, David Cronenberg, qui montre là à la fois, déjà, ses grandes qualités et ses immenses défauts, Frissons souffre tout de même un peu d’inexpérience. Cronenberg pose d’emblée ses propres obsessions, ses codes, ses fantasmes et y entraîne un spectateur complice. Complice jusqu’à un certain point, il est vrai : trop de plans, trop de personnages dont les vaticinations ne sont pas contrôlées, trop de répétitions, trop d’évidences facilement repérées par le spectateur, trop d’images facilement répugnantes, trop de sang, trop de bave.

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Forfaiture

mercredi, novembre 17th, 2021

L’oie blanche et l’ogre jaune

Fasciné par l’adaptation qu’en avait faite Cecil B.DeMille en 1915, sur la base d’un roman de l’inconnu Hector Turnbull, un des grands cinéastes du Muet, Marcel L’Herbier, a réussi un remake très séduisant. À ce qu’il semble les adaptateurs ont pris de grandes libertés avec l’histoire originelle mais comme on ne la connaît pas, ça n’a strictement aucune importance. Il suffit de savoir que tout cela se déroule dans l’Orient compliqué, qui a fasciné des générations et des générations d’Occidentaux, grisés par un exotisme subtil, raffiné, intelligent, possiblement enluminé par de sacrées doses de cruauté et de sadisme. (suite…)

Folies parisiennes

dimanche, novembre 14th, 2021

J’ai honte !

Autant l’avouer tout de suite et avec quelque ostentation : je viens de replonger dans une de mes plus dégoûtantes passions, dans ma ridicule dépendance aux épouvantables nanards de la grande époque du cinéma français des années 50. Et qui plus est de façon volontaire et obstinée. À l’étal d’un soldeur de DVD, l’autre jour, j’ai repéré sur une pile un peu dissimulée, presque furtive, toute une collection de films invraisemblables à réalisateurs inconnus, à interprètes minuscules ou ignorés, des films qui devaient être projetés dans les lisières les plus extrêmes des arrondissements périphériques et dans les sous-préfectures les plus étriquées de nos belles provinces. (suite…)

L’énigme de Kaspar Hauser

samedi, novembre 13th, 2021

Voyage en terre inconnue.

Des milliers d’articles, des centaines de livres, des chansons, le poème de Verlaine, une demi-douzaine de films ou de téléfilms se sont penchés sur l’histoire invraisemblable et inexplicable de Kaspar Hauser, né sans doute vers 1812 et mort assassiné – ou peut-être suicidé ? – en 1833. Une singulière fulgurance en Bavière, le mystère d’une existence effroyable. Rien à voir, pourtant avec les prétendus enfants-loups, avec L’enfant sauvage qui fascinera François Truffaut. Lorsqu’il apparaît, brusquement, sans que personne ne puisse le reconnaître ou l’identifier, l’adolescent de 16 ans sait à peu près se tenir debout, écrire son nom, demeurer propre et balbutier quelque mots.

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Teddy

jeudi, novembre 11th, 2021

La règle du jeu.

Je ne suis pas très féru d’histoires de loups-garous, je l’ai dit cent fois. La fatalité qui tombe comme une enclume sur le dos d’un pauvre type qui n’y peut pas grand chose et qui l’entraîne fatalement à devenir de temps à autre une bête immonde me semble un procédé assez facile. Ou plutôt beaucoup moins séduisant que l’horreur volontairement choisie en fascination pour le Mal par des personnages pleinement conscients qu’ils fricotent avec Satan et qu’ils le rejoindront dans la géhenne infernale. Cela dit, toute orientation nouvelle sur un mythe, tout regard posé avec originalité sur une histoire dont le dénouement affreux est prévisible mais les moyens de l’atteindre inédits est intéressant. (suite…)