Archive for the ‘Chroniques de films’ Category

Shock corridor

mardi, mars 23rd, 2021

La folie est-elle un Droit de l’Homme ?

Presque cinquante ans que j’avais entendu parler de ce film, tenu alors par les augures des Cahiers du cinéma et autres donneurs de leçons (ce qu’on n’appelait pas encore le Camp du Bien) comme une œuvre majeure dans sa description de la violence clinique et de la facilité stupéfiante avec laquelle un être apparemment normal peut se laisser glisser dans les ombres froides de la folie. Les désordres mentaux ont de tout temps fasciné les foules puisqu’ils touchent des individus qui, en apparence, n’ont aucune différence avec quiconque. Ce qui d’ailleurs démontre forcément qu’il est bien difficile de montrer la folie à l’écran, hors ses manifestations les plus spectaculaires et agressives. Qui ne sont pas forcément les plus perturbantes. (suite…)

Houdini, le grand magicien

jeudi, mars 18th, 2021

Le môme caoutchouc.

Quand on me conduisait au cirque, lorsque j’étais enfant, il était bien rare que je ne sois pas déçu. Les ennuyeuses cavalcades des chevaux et de leurs écuyers, les trapézistes qui ne chutaient jamais (ce qui aurait mis un élément de surprise agréable), les dompteurs et belluaires qui n’étaient jamais dévorés par les fauves (même remarque), tout cela me semblait faux, artificiel, ennuyeux. Et aussi les pantalonnades dégradantes des clowns ; il n’est d’ailleurs pas impossible que mon aversion pour le cinéma comique muet de Charlot, de Mack Sennett, d’Harold Lloyd, aversion qui s’est reportée sur leurs épigones, Jacques TatiPierre ÉtaixRowan Atkinson (Mr. Bean), soit venue de là. Mais au cirque il y avait pourtant des gens qui avaient un talent que je jugeais admirable et me fascinaient : les prestidigitateurs, que nous préférions d’ailleurs appeler magiciens (ce qui était bien plus grisant dans notre imaginaire).

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The Shangaï Gesture

mercredi, mars 17th, 2021

Le Lotus bleu pour grandes personnes.

On ne peut évidemment pas dénier à Josef von Sternberg le grand talent de faire percevoir – malgré des moyens financiers très modestes – le charme vénéneux et pourrissant de cette Chine d’avant le communisme maoïste. Un pays démembré avec gourmandise par les puissances occidentales qui avaient établi des comptoirs pour commercer avec un peuple industrieux et structurellement soumis, assez pratique à exploiter. Ces concessions, comme on les appelait, sont d’ailleurs à l’origine de la prospérité économique de la conurbation shanghaïenne dont l’expansion a tiré vers le haut toute la Chine. Ne nous plaignons pas de la concurrence et de l’étranglement de nos propres industries : le capitalisme international l’a voulu. (suite…)

L’ange exterminateur

lundi, mars 15th, 2021

N’a rien exterminé du tout.

Mes relations avec le cinéma de Luis Bunuel ont toujours été très perplexes et inquiètes. Beaucoup de films magnifiques, intenses, cruels, mais souvent aussi des esbroufes aussi médiocres qu’inutiles. Cinéaste cosmopolite, violent, souvent agressif dont les films aujourd’hui les plus notoires sont français (Le journal d’une femme de chambreBelle de jour), mais dont le talent a peut-être été encore plus mis en valeur par l’étrange Mexique, où il a tourné pendant quinze ans des œuvres souvent âpres et sarcastiques aussi souvent, des œuvres qui mêlent facilement le rire méchant, le ridicule compassé et l’outrance glaçante.

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Les amants de demain

jeudi, mars 11th, 2021

Mélo populo.

Les jugements très réservés que j’ai lus sur Les amants de demain m’intriguaient un peu avant que je regarde le film. Sans doute le talent de son réalisateur Marcel Blistène ne brille-t-il pas au firmament du cinéma mondial et son nom est-il aujourd’hui complétement oublié, mais enfin les deux films que j’ai vus de lui ne m’ont pas donné mauvaise impression ; d’abord Étoile sans lumière de 1946 (déjà avec la regrettable Édith Piaf) puis, un peu mieux encore, Gueule d’ange de 1955 avec Maurice Ronet et – surtout ! – Viviane Romance. Deux films qui ont le bon goût de se terminer mal et de mettre dans l’eau froide une goutte d’acide. (suite…)

Chambre avec vue

mardi, mars 9th, 2021

Éloge des jeunes filles qui se tiennent bien.

Voilà un film charmant, intelligent, subtil, raffiné, plein de la grâce extrême de notre merveilleuse civilisation européenne à la fin du 19ème siècle. Mais pour autant un film qui ne me laissera sûrement pas davantage de souvenir que celui de l’arôme fugace et subtil d’une tasse de thé de belle origine ou celui d’une rose d’automne d’Angleterre. C’est d’ailleurs souvent ainsi lorsque la perfection des images, des décors, des costumes, des atmosphères et la qualité solide des acteurs prend le pas sur le fond du sujet. Et puis il ne faut pas méconnaître que la singularité de la civilisation britannique, ses rapports de classe très marqués, très différenciés, son puritanisme éclatant, son goût pour la litote (le fameux understatement anglo-saxon) nous donne presque une sensation d’exotisme… (suite…)

Hurlements

lundi, mars 8th, 2021

Horreurs ordinaires.

De la minime carrière cinématographique de Joe Dante, il ne restera finalement que les originaux Gremlins, affreux monstres sarcastiques et brutaux issus de ravissantes petites boules de poils. Ce qui a suivi n’a pas laissé trace et ce qui a précédé, c’est-à-dire Hurlements, est d’une consternante banalité. Parce que, par quelque biais qu’on les prenne, les histoires de loups-garous, plus ou moins sauvages, plus ou moins sanglantes, sont terriblement répétitives et très ennuyeuses. Créatures malfaisantes mais trop souvent pitoyables qui subissent les effets d’une malédiction séculaire et sont obligées presque structurellement d’agresser les humains et de se nourrir de leur chair. C’est leur côté gnangnan.

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Brève rencontre

jeudi, mars 4th, 2021

Un peu de soleil dans l’eau grise.

Formidable succès du titre de ce film qui est allé jusqu’à passer dans le langage courant. Tout y est : la concision, la netteté, le sentiment d’urgence, la précarité ; on pourrait presque ajouter la banalité et même la grisaille et on n’aurait pas tort, tant Brève rencontre est l’illustration parfaite de la vie qui coule, un peu douce, un peu triste, un peu médiocre, un peu rassurante. Je songe à un mot de Jean Giono dans je ne sais plus quoi : Le désir amoureux, feu téméraire et volage…Téméraire, puisqu’il peut tant et tant abîmer des hommes et des femmes qui sont devant lui si fragiles ; volage, parce qu’il n’a pas d’avenir s’il ne permet pas un projet ancré dans la durée. (suite…)

Karnaval

dimanche, février 28th, 2021

Le rigodon des Flandres.

Une des grandes qualités de ce film formidable, qui reçut d’ailleurs un accueil public et critique éclatant, est de mêler avec virtuosité une histoire de désir et de songerie à la formidable vitalité du carnaval de Dunkerque. De faire aussi que cette histoire amoureuse ne puisse se passer comme elle se passe que dans ce cadre de folie et d’outrance ; ceux qui ne connaissent pas le Carnaval peuvent le juger ridicule et même obscène et ceux qui le vivent de l’intérieur passent leur temps à attendre toute l’année son retour, au cœur de l’hiver, dans les brouillards, les pluies, le froid effacés par les déguisements effarants, la bière, l’amitié et les chansons…
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Deux jours à tuer

jeudi, février 25th, 2021

Zut pour celui qui lira !

Le talent, surtout le grand talent, n’est pas héréditaire. Tout ce que j’avais vu jusqu’alors de Jean Becker ne rappelait en rien que son père Jacques avait été un des plus grands cinéastes français, un réalisateur qui n’a vraiment pratiquement rien raté (grâce, peut-être, il est vrai, à une carrière particulièrement courte et dense, interrompue par sa mort brutale à 53 ans). Le fils, c’est autre chose ! Surtout depuis que, après une interruption d’une vingtaine d’années, il a connu de grands succès publics. Au début des années 60, il s’était essayé, sans démériter, avec Jean-Paul Belmondo, au film noir – Un nommé La Rocca) (1961) – ou aux aventures fantaisistes – Échappement libre (1964) ou Tendre voyou (1966)-.

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