Archive for the ‘Chroniques de films’ Category

Le fils d’un Roi

dimanche, mars 8th, 2020

La place vide.

Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du Roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le Roi n’est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d’y placer d’autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l’espace. Et savez-vous bien qui a tenu ce propos singulier, surprenant, détonant qui rejoint, dans une large mesure ce que pensait le Général de Gaulle et que la Constitution de la Vème République a tenté d’arranger ? Tout simplement notre actuel Président, Emmanuel Macron, dans une interview de 2015. (suite…)

Black Panthers

lundi, mars 2nd, 2020

Qui a peur du grand méchant loup ?

J’aime trop Agnès Varda, celle de Cléo, du Bonheur, de Sans toit ni loi, mais aussi celle de Daguerréotypes, de Jacquot de Nantes, des Glaneurs et la glaneuse pour ne pas lui infliger ce que le christianisme nomme une correction fraternelle, un acte charitable envers quelqu’un qu’on apprécie, qu’on aime et qui a commis une grave faute. Remarquez bien que de là où elle est, le paradis des cinéastes qui ont su enchanter bien des spectateurs, elle doit se ficher de ma récrimination comme de son premier tour de manivelle ; mais ça ne fait rien, il faut pourtant que je lui dise, au travers de la contingence, combien son Black Panthers est détestable – ce qui n’est pas bien grave – mais surtout comme il est ennuyeux. (suite…)

Parasite

samedi, février 29th, 2020

Le pays du matin calme et des égouts qui débordent.

Aux premières images, on se croirait un peu dans Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola, au milieu de la crasse, de la boue, des rues défoncées. Une famille coréenne entassée dans un demi sous-sol minable, qui survit tant bien que mal en pliant des cartons de pizzas. Mais en fait ce n’est pas ça. Les deux enfants, le garçon Ki-woo (Choi Woo-sik) et la fille Ki-jung (Park So-dam) ne sont pas des débiles légers et auraient presque pu entrer à l’Université. Et même le père Ki-taek (Song Kang-ho) et la mère Chung-sook (Jang Hye-jin) ne sont pas dépourvus d’intelligence et de qualités. Mais la survie est dure et les perspectives minables, surtout dans une société aussi clivante et sans pitié que la société coréenne, vouée toute entière à l’exaltation de la réussite sociale et donc à l’esclavage de ceux qui ne peuvent pas monter dans le train de la prospérité. (suite…)

Donnez-moi ma chance

vendredi, février 28th, 2020

Miroir aux alouettes.

Il est assez drôle de regarder un film où la partie vertueuse du cinéma de 1957 se moque moralement d’elle-même, même si l’affiche est assez racoleuse et si on entraperçoit l’ombre d’un sein nu. D’ailleurs le titre alternatif du film de Léonide Moguy est le plus explicite Piège à filles. Et le miroir aux alouettes dont j’affuble mon avis est bien celui qui fait briller les yeux romanesques qui imaginent que la vie d’artiste est un chemin de roses aux mille plaisirs et au sol lisse. Remarquez que ça ne touche pas que les jeunes filles et que l’admirable aventure du Schpountz de Marcel Pagnol montrait aussi cette fascination idiote ressentie, cette fois, du côté masculin. (suite…)

Green book

mercredi, février 26th, 2020

« God bless America ! »

Il serait bien injuste de dire autre chose que du bien d’un film sympathique, souvent touchant, qui donne envie de se réconcilier avec l’ensemble du genre humain et qui montre sans méchanceté mais en les poussant jusqu’à l’absurde les vilenies et conneries du petty apartheid, c’est-à-dire l’apartheid mesquin imposé plus d’un siècle après la fin de l’esclavage aux Noirs des États-Unis. Les places interdites dans les autobus, les hôtels et restaurants réservés aux Blancs et – comme il est montré dans Green book – la cabane au fond du jardin qui peut seule être utilisée par un postérieur de couleur. Ou, autre comble de l’absurdité et de la sottise la règle qui veut que le pianiste célèbre, qu’on se prépare à applaudir ensuite sans arrière-pensée (!!) ne puisse dîner dans la même salle que ses futurs spectateurs. (suite…)

La grande bouffe

lundi, février 24th, 2020

La mort qui fait le trottoir.

Je crois qu’il y a des films qu’il faut avoir de la bouteille, beaucoup de bouteille pour apprécier ; et sinon de la bouteille, du moins de la distance, c’est-à-dire la capacité de voir, au delà du récit brut, des images crues, des dialogues choquants, la volonté du metteur en scène, peut-être la leçon qu’il veut donner. Je n’étais pourtant pas un perdreau de l’année lorsque j’ai vu La grande bouffe au cinéma en 1973 et pourtant ma femme et moi avons quitté la salle bien avant la fin du film, lassés, écœurés, scandalisés par la suite ininterrompue de séquences qui nous répugnaient. Et depuis lors, depuis près de cinquante ans, je m’étais soigneusement gardé de remettre le nez chez Marco Ferreri, non pas par moralisme gnangnan mais parce que je n’avais vraiment pas envie de retrouver la sensation de dégoût de jadis. (suite…)

Martin et Léa

vendredi, février 21st, 2020

Le pain de ménage.

Ce qui est certain, c’est qu’aucun film d’Alain Cavalier n’est dérisoire, insignifiant ou, surtout, banal. Un réalisateur tout à fait en marge, incapable de se fondre dans la masse molle ou de filmer un de ces sujets de société qui font florès un peu partout et finissent par remplir les cases obligées des chaînes de télévision. On peut s’étonner de certains choix, de certaines orientations, d’une certaine propension du réalisateur à ne filmer, si l’on peut dire que pour lui, au travers d’insistances mises sur certaines obsessions personnelles (Libera me) ou même d’autobiographies clairement revendiquées (Le filmeur). Ce n’est pas toujours satisfaisant ni convaincant, mais ça n’est jamais absurde ou ridicule. (suite…)

La fille aux yeux d’or

mercredi, février 19th, 2020

Les brunes comptent pas pour des prunes.

Je gage que si Jean-Gabriel Albicocco, au lieu de vouloir l’adapter au XXème siècle, avait conservé à La fille aux yeux d’or le parfum de son époque originelle, c’est-à-dire de la Restauration, il aurait pu parfaitement réussir ce qui était alors son premier film et donner une interprétation assez fascinante du court roman d’Honoré de Balzac, troisième volet, après Ferragus et La duchesse de Langeais de l’étrange Histoire des Treize. Treize amis unis par une sorte de pacte inébranlable, une société secrète vouée à l’accomplissement de tous les désirs de ses membres, au dessus des lois et de toute morale. (suite…)

La ruée vers l’or

mardi, février 18th, 2020

La neige était nulle.

Je n’ai jamais compris ce qui avait pu séduire tant de monde – y compris des esprits parmi les meilleurs – dans les gugusseries de Charlie Chaplin, plus connu sous le nom de Charlot. Ses mimiques, ses coups de pied au cul en traître, ses clins d’œil complaisants, roublards au spectateur, son insupportable dégaine à chapeau melon, redingote crasseuse et badine cinglante sont pour beaucoup le summum du cinéma comique muet, alors que ses films répétitifs et pesants, consacrant la victoire des filouteries diverses sont cent coudées au dessous de L’étroit mousquetaire de Max Linder, chef-d’œuvre de cocasserie qui date de 1922. (suite…)

Le vieil homme et la mer

samedi, février 15th, 2020

« Homme libre, toujours… »

Il fallait vraiment qu’Hollywood fût certain de sa toute-puissance pour imaginer imposer sur tous les écrans du monde une anecdote aussi mince et un film interprété, à peu de choses prés, par un seul acteur. Mais en 1958, c’est vrai, les États-Unis étaient au faîte de leur renommée et pouvaient prescrire à tous les petits garçons du monde l’histoire d’un simple pécheur aux prises avec la rudesse de l’Océan. Une belle aventure, au demeurant, un grand acteur, Spencer Tracy, une de ces légendes un peu oubliées aujourd’hui, mais qui ont marqué notre imaginaire par tant et tant de grands rôles, par sa robustesse, sa rugosité, sa solidité. Petit rapprochement incongru : dans La neige en deuil d’Edward Dmytryk, qui se passe en pleine montagne, Tracy sauve son frère de la mort en retenant de ses mains nues qui s’ensanglantent la corde qui file. Et dans Le vieil homme et la mer, il y a la même image de paumes abîmées par un filin brûlant… (suite…)